La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Le Cirque contemporain en France

Pour un cirque de création

Pour un cirque de création - Critique sortie
© D. R.

Les évolutions du cirque : regard sur la création et le cirque dans les théâtres

Publié le 11 novembre 2014

Cofondateur des Arts sauts en 1993, compagnie qui a renouvelé l’art du trapèze volant, Stéphane Ricordel dirige avec Laurence de Magalhaes Le Monfort à Paris. Il redoute un enfermement du cirque qui ne correspond pas à l’ensemble des possibles. 

Quel est votre parcours et quel est votre regard sur l’évolution du cirque contemporain ?

Stéphane Ricordel : J’ai commencé par le théâtre, mais je me suis rendu compte assez vite que ce n’était pas pour moi. J’ai été d’emblée très intéressé par la notion physique sur un plateau de théâtre, et me suis retrouvé par hasard à l’école Fratellini, où je suis monté sur un trapèze. Les écoles  d’Annie Fratellini et Silvia Monfort, créées au début des années 70, ont permis de renouveler le cirque, en intégrant des gens qui ne bénéficiaient pas de transmission familiale, des gens nourris d’un passé dans d’autres disciplines et qui avaient vraiment envie de faire quelque chose de différent, défendant par exemple l’idée d’entertainment avec un côté rock englobant les codes du spectacle vivant. La reconnaissance institutionnelle, la création du Centre National des Arts du Cirque à Châlons en 1985 et l’essor des écoles ont permis au nouveau cirque de prendre de l’ampleur, mais je pense que cette évolution a été trop rapide. Les écoles et les étapes d’un parcours générées par le système ont enfermé nos codes et nos disciplines, qui sont des disciplines de liberté. Le Cirque Plume, Archaos, et Les Arts Sauts, à une époque moins difficile économiquement, avaient mis en œuvre des modes de fonctionnement très personnels. Aujourd’hui, les créations ne voient le jour quasiment que dans les pôles cirque, qui n’ont pas pour cela suffisamment de moyens. Dans ces pôles cirque existe un enfermement du cirque sur lui-même qui fait que l’ouverture qui avait commencé dans les années 90 avec les scènes nationales, friandes d’un cirque beau, ludique, mélangé, et d’autres partenaires potentiels, se referme un peu. Peut-être parce les programmateurs se sont dits que les spectacles d’un cirque trop contemporain ne remplissaient pas assez. Et contrairement aux Centres Dramatiques ou Chorégraphiques Nationaux, les pôles cirque ne sont quasiment pas dirigés par des artistes. Le cirque ne bénéficie pas encore de la reconnaissance  du théâtre ou de la danse,  une formation – pour le public et pour les programmateurs –  est nécessaire pour être conscient de l’ensemble des possibles, consolider la reconnaissance du cirque,  et appréhender la diversité du cirque contemporain.

« Il faut être vigilant, et ne pas réduire le cirque à une logique de remplissage au détriment du sens. »

Quels sont les lieux du cirque ?

S. R. : Les Festivals de rue ont constitué une ouverture, mais la gratuité et les aléas de la météo imposent de lourdes contraintes. Aux Arts Sauts, nous avons commencé par la rue puis nous nous sommes enfermés dans un chapiteau pour des raisons économiques,  afin de disposer d’une billetterie et d’un public captif. Le chapiteau nécessite la présence d’une troupe, de l’énergie, de l’argent et la volonté très affirmée de se conformer à un mode de vie spécifique, ce qui concerne 20% des circassiens aujourd’hui. En général, les circassiens développent leur ligne artistique autour d’un agrès, et pour intégrer un agrès dans une salle, il s’agit de prendre en considération le rapport frontal au public et les techniques de théâtre. Les circassiens qui se sont posé la question de la salle ont mis un peu de temps à se dire “nous faisons du cirque en salle donc du théâtre“. Et ensuite nous avons tous voulu défendre le mot cirque en affirmant “nous faisons du cirque“. Cette dualité-là a été un cap un peu compliqué à franchir. Les formes et les esthétiques évoluent, les directeurs de lieux et les publics évoluent avec elles. L’artiste de cirque utilise les codes du plateau pour les transgresser, les transformer, les adapter et en faire quelque chose d’intéressant. Scénographiquement et artistiquement, que ce soit sur un plateau comme Yoann Bourgeois ou sous chapiteau comme Johann Le Guillerm, les circassiens ont vraiment des choses à dire et à faire valoir.

Comment définissez-vous une bonne représentation de cirque ?

S. R. : La forme et le fond sont à mes yeux nécessaires. La prouesse pour la prouesse, c’est très divertissant, mais je trouve qu’il manque quelque chose. En ce moment, je constate un retour assez fort au cirque performatif. Les circassiens qui sont en recherche de formes complexes, au-delà de la joliesse d’un enchaînement, ont moins de place. Non pas que je n’aime pas le cirque performatif, un triple saut périlleux m’intéresse, mais moins pour le saut en soi que pour ce qui se raconte à l’intérieur de ce saut et à travers lui. Cela ne veut pas dire que je minimise l’importance de la technique. L’artiste a besoin de la technique, de la prouesse, même si elle est minime. Dans n’importe quel spectacle de cirque, l’artiste parle, en coulisse, d’abord de la technique. Il y a d’ailleurs une sorte de confidentialité dans la technique qui nous appartient. Et je pense que quelqu’un qui ne sait pas vraiment faire de l’acrobatie et qui présente un spectacle de niveau minimum, cela se voit, et à l’inverse, quelqu’un qui a un niveau incroyable mais ne présente que le b-a-ba de la technique, cela se voit aussi.

La place du cirque dans les théâtres est-elle clairement identifiée ?

S. R. : Pas vraiment. Lorsque le public d’un théâtre vient voir un spectacle étiqueté cirque, il ne sait pas très bien ce qu’il va voir. D’autant que le cirque reste encore dans l’esprit de beaucoup un spectacle familial et divertissant. Nous devons former les publics, donner aux spectateurs la possibilité d’apprendre et les emmener vers des univers multiples et protéiformes. Si Pina Bausch aujourd’hui rassemble autant, c’est parce que le Théâtre de la Ville a fait ce qu’il fallait. Les programmateurs des théâtres doivent découvrir de plus en plus le champ des possibles, il faut être vigilant, et ne pas réduire le cirque à une logique de remplissage au détriment du sens. C’est un écueil qui se profile et qu’il faut contrer en défendant un cirque de création et de recherche. Je me souviens qu’il y a dix ans, avec les Arts Sauts, de nombreux programmateurs voulaient étiqueter notre projet « ballet aérien », pour éviter le mot cirque. Lorsqu’un spectacle croise les disciplines du théâtre, de la danse et du cirque, le mot cirque est rarement mis en avant, mais selon moi l’identité d’un projet parfois difficilement identifiable prend simplement appui sur la formation initiale des artistes – de théâtre, cirque ou danse – qui le construisent. Au Monfort, nous affirmons notre projet cirque, en accordant une place à toutes sortes de démarches créatives. Nous voulons que les spectacles rencontrent leur public et nous voulons aussi qu’ils fassent sens.

 

Propos recueillis par Agnès Santi

 

Le Monfort, Parc Georges Brassens, 106 rue Brancion, 75015 Paris. Tél : 01 56 08 33 88. www.lemonfort.fr

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