La musique contemporaine dans tous ses états
Petites formes lyriques : le renouveau
Le renouveau du répertoire lyrique est porté depuis plus de trente ans par des structures inventives : privilégiant les formes « légères », elles ont permis une large diffusion de la création contemporaine.
Les compagnies nationales de théâtre lyrique et musical apportent à la création musicale leur savoir-faire développé au contact des autres répertoires. Inventives par nature, ces compagnies ont été pionnières dans la redécouverte de pans entiers de répertoires oubliés. Elles ont notamment redonné au public le goût du répertoire baroque, avant même qu’il ne s’impose avec succès sur les grandes scènes lyriques. La Péniche Opéra, fondée en 1982, s’était dès l’origine donné pour vocation de privilégier la création lyrique contemporaine, mais « en instaurant un va-et-vient constant entre la création et le répertoire ». Ce sont donc des compositeurs qui ont accompagné les débuts de cette compagnie hors normes aux côtés de ses créateurs – Mireille Larroche et les chanteurs Pierre Danais, Ivan Matiakh et Béatrice Cramoix. Dès les premières saisons, Claude Prey, Michel Musseau, Guy Reibel ou Georges Aperghis – l’un des inventeurs du théâtre musical contemporain, fondateur de l’Atem (devenu depuis T&M) – sont programmés, souvent en parallèle de recréations d’ouvrages oubliés (O comme eau de Claude Prey répond ainsi à La Barca de Venitia per Padova de Banchieri). Surtout, Mireille Larroche recherche des formes qui rendent l’art lyrique à son actualité : ce seront ces formes brèves, « opéra-journal », « cabaret contemporain », jusqu’aux Cantates de bistrot de Vincent Bouchot ou au Karaoké d’Alexandros Markéas. L’ensemble Justiniana, la compagnie fondée par Charlotte Nessi, qui œuvre à la production et à la diffusion de l’art lyrique en milieu rural (elle est installée en Franche-Comté depuis sa fondation en 1982), est animée par la même idée et confie certains de ses spectacles à des musiciens « passeurs », venus du jazz ou de la variété (Philippe Servais, François Raullin, Didier Lockwood).
Des lieux d’expériences
L’Arcal (Atelier de Recherche et de Création pour l’Art Lyrique), créé par Christian Gangneron en 1983, marque d’emblée les esprits avec un Orlando de Haendel chanté par le contre-ténor Henri Ledroit. Mais très vite, la création devient un aspect important de la compagnie. La politique de l’Arcal en matière de résidences de compositeurs est originale en cela qu’elle n’est pas systématiquement liée à la commande d’une œuvre lyrique. Il s’agit plutôt d’offrir à de jeunes compositeurs de « vivre les conditions concrètes d’une production lyrique » et de sa diffusion. La présence au long cours du compositeur auprès des chanteurs et musiciens lui permet de « tester » ses propres œuvres et éventuellement d’avancer sur la mise en place d’un projet lyrique. Cela semble porter ses fruits puisque, quelques années après leur résidence, les compositeurs Oscar Strasnoy ou Frédéric Verrières ont livré des ouvrages remarqués (respectivement Cachafaz en 2010 et The Second Woman en 2011, qui ne sont d’ailleurs pas des productions de l’Arcal) ; quant à Jonathan Pontier, dont la résidence en 2003-2004 était marquée par un fort investissement en milieu scolaire, il signe cette saison sa troisième production avec l’Arcal, un conte musical à destination des élèves d’écoles maternelles. Les ensembles spécialisés trouvent là l’occasion de s’investir dans la création lyrique, qui correspond à un désir de plus en plus exprimé par les compositeurs. Ces petites formes, qui impliquent pleinement chacun des intervenants, ont sur les musiciens, sur leur façon d’être sur scène – y compris au concert – un impact évident, comme le reconnaissent en écho Laurent Cuniot (TM+) et Pierre Roullier (2e2m), qui ont ces dernières années largement contribué à la création lyrique contemporaine en collaboration avec l’Arcal ou la Péniche Opéra. Associés dès l’élaboration du projet, les ensembles sont alors un soutien indispensable pour réaliser les désirs d’opéra des compositeurs d’aujourd’hui.
Jean-Guillaume Lebrun