La musique contemporaine dans tous ses états
L’opéra, un art d’aujourd’hui
Metteur en scène et producteur, Antoine Gindt a succédé en 1997 au compositeur Georges Aperghis à la tête de T&M, qui a produit récemment Aliados, opéra du jeune compositeur Sebastian Rivas.
On a présenté souvent le théâtre musical comme une alternative – sinon le remplaçant – de l’opéra. Aujourd’hui, les productions de T&M explorent ces deux directions. Y a-t-il coexistence ?
Antoine Gindt : Je crois qu’il ne faut pas considérer le théâtre musical comme un genre : il appartient à ses auteurs, des compositeurs qui ont expérimenté des formes scéniques associant théâtre et musique d’une façon autre que ce que proposait l’opéra, mais il n’a pas vraiment de descendance. D’ailleurs, le théâtre musical a souvent été conçu comme un prolongement de la composition, chez Mauricio Kagel avec son « théâtre instrumental » comme chez Georges Aperghis ou Heiner Goebbels. Aujourd’hui, on constate un désir très fort de la part des compositeurs de réinventer l’opéra.
« Un désir très fort de la part des compositeurs de réinventer l’opéra. »
Réinventer l’opéra, est-ce autant réinventer la musique que le théâtre ?
A. G. : Je trouve malheureusement que l’art lyrique se renouvelle trop par la mise en scène, et pas assez par les œuvres, par la recherche de formats originaux. La danse a réussi à le faire ; le théâtre aussi, en intégrant les esthétiques développées par les metteurs en scène grâce au système des compagnies. Le théâtre lyrique doit lui aussi opérer un tel mouvement. Or, les deux mondes – théâtre et musique contemporaine – s’ignorent largement. Les compositeurs, trop peu instruits de la démarche des gens de théâtre, s’enferment souvent dans un monde spéculatif ou instrumental, et il y a chez les metteurs en scène un appauvrissement des repères musicaux qui les éloigne du monde de la musique contemporaine, et même de l’opéra contemporain. La collaboration ne peut naître que du désir de plusieurs personnes, et c’est ce que je perçois dans la nouvelle génération de compositeurs, qui interrogent l’opéra, non pas dans la continuité d’un travail instrumental, mais en tant que possibilité d’exprimer quelque chose d’actuel.
On pointe souvent la difficulté pour les compositeurs de trouver un livret d’opéra.
A. G. : Il n’y a plus de grande tradition du livret comme au XVIIIe siècle, avec ses conventions très précises. Aujourd’hui, le compositeur se retrouve face à un choix vertigineux pour faire coïncider son propre désir esthétique avec le livret qu’un autre (ou lui-même) écrira spécialement. D’abord, c’est toujours un problème de sujet : qu’est-ce que le compositeur veut raconter ? Peut-il agir sur le verbe ? Le risque est celui de l’obsession du sens, que l’on observe à travers le surtitrage systématique des spectacles : on fait du spectateur un simple lecteur, au détriment de l’émotion du mot grâce au chant.
Propos recueillis par Jean-Guillaume Lebrun