L’intelligence du danseur est aussi essentielle que la technique
Créée en 1992 à l’initiative de Roland Petit, alors directeur du Ballet national de Marseille, l’Ecole Nationale Supérieure de Danse de Marseille prépare les jeunes danseurs à la vie professionnelle et délivre le DNSPD. Directeur depuis trois ans, Jean-Christophe Paré fait évoluer le cursus vers une plus grande interdisciplinarité en phase avec la réalité plurielle du paysage chorégraphique actuel.
Comment concevez-vous la mission d’une école de danse dans l’enseignement supérieur ?
Jean-Christophe Paré : Nous préparons les artistes à rencontrer la variété des situations auxquelles ils seront confrontés ensuite. Le niveau d’acquisition et la maîtrise technique sont évidemment une condition, mais l’essentiel est d’amener les jeunes danseurs à être autonomes dans l’invention de leur parcours professionnel et artistique, de les pousser à développer leur créativité personnelle, entendue comme les ressorts intérieurs qui permettent de s’interpréter soi-même au mieux dans une configuration donnée. Tel but suppose une habilité à appréhender des situations de travail, des styles, des comportements très différents, et donc d’être outillé dans le rapport aux écritures chorégraphiques. La collaboration avec un chorégraphe ne se résume pas à la découverte d’une nouvelle forme d’enveloppes gestuelles, elle implique de faire face à des partis-pris sur la représentation du corps dansant, sur les modalités d’écriture, etc. Si le danseur n’a pas intégré ces concepts-là, il abordera le travail de manière formelle mais pas par le fond. Il ne s’agit pas de former des « ouvriers spécialisés » certes très forts techniquement mais sans présence, sans capacité à faire le lien avec l’émotionnel, avec leur personnalité.
« Amener les jeunes danseurs à être autonomes dans l’invention de leur parcours professionnel et artistique. »
Par quels mots traceriez-vous les lignes directrices de cette école ?
J.-C.P. : Le développement de la danse contemporaine en France depuis les années 1980 appelle une formation plus interdisciplinaire qu’auparavant. Un premier axe du cursus vise à apporter une vision plurielle de la danse, pour que l’élève puisse se construire une représentation mentale multiple de la danse. L’un des enjeux de la modernité et de la postmodernité fut de créer des ruptures sur la question du jugement de valeur porté sur les esthétiques. Former un danseur aujourd’hui commence par le débarrasser de ses a priori pour qu’il trouve son identité selon ses inclinations.
La polyvalence d’un point de vue de la maîtrise technique n’est-elle pas une utopie ? Quelle est sa réalité concrète ?
J.-C.P. : Elle est à la fois nécessaire, parce qu’elle étend les potentialités gestuelles, et utopique, parce qu’elle bute sur des limites physiques et des zones de conflits corporels quasi insolubles. Les techniques néoclassiques et contemporaines ne mobilisent pas les muscles et les articulations de la même façon. Par exemple, les unes appellent la tonicité quand les autres demandent au contraire le relâché, si bien que la pratique très intensive des deux peut générer des douleurs. Il faut trouver l’équilibre entre la nécessité et l’utopie de croire que le danseur peut tout danser. L’enfermer dans une seule optique empêche des possibilités de cheminement, mais vouloir tout faire n’a aucun sens corporellement, intellectuellement et artistiquement, car une personne construit son identité en développant son goût, donc en approfondissant certaines des saveurs. Concrètement, le cursus propose, en parallèle des cours sur les fondamentaux techniques, des ateliers avec des artistes différents, selon des démarches et des formats variés. Provoquer un peu de turbulences au cours de la formation me semble important pour que les danseurs soient stimulés et fassent leurs choix.
Entretien réalisé par Gwénola David