La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Le Cirque contemporain en France

L’essence du cirque

L’essence du cirque - Critique sortie
Les Colporteurs et leur chapiteau qui permet d’emmener le cirque sur la route. © Zeugma Films

Cirque et chapiteau

Publié le 11 novembre 2014

Depuis dix-huit ans, Antoine Rigot et la compagnie des Colporteurs arpentent les territoires sous chapiteau en proposant un cirque de création. Avec ténacité et talent, ils mettent en œuvre une mission essentielle de la politique culturelle : ils sont des médiateurs uniques entre l’art et le public, et nous font rêver.  

Lorsque vous avez créé Les Colporteurs en 1996, pourquoi avez-vous voulu construire un chapiteau ?

Antoine Rigot : En 1996, nous sortions Agathe et moi de «La Volière Dromesko» d’Igor et Lili, et c’était notre espace, c’était une évidence. A la création de notre compagnie Les Colporteurs, nous avons imaginé le chapiteau de nos rêves, nous avons pu bénéficier d’une subvention d’aide à l’équipement et pris un prêt bancaire. Toute l’équipe s’est serré la ceinture pendant quatre ans afin d’honorer les traites, heureusement notre création Filao a rencontré un grand succès !

« Le rythme de la tournée du cirque a perdu son humanité. Il faut donc réinventer cette itinérance, et prendre le temps. »

En quoi le chapiteau influence-t-il la création d’une part et d’autre part le lien avec le public ?

A. R. : Dans le chapiteau nous sommes vus de tous côtés, le cercle rayonne d’une énergie particulière que reçoit le public et qu’il renvoie. Cet échange cadre et génère un travail de création spécifique. Le cirque a beaucoup évolué et nous alimentons chaque jour cette évolution, c’est notre vie d’aventurier, nous qui sommes allés vers lui. Aujourd’hui, le cirque a investi tous les espaces de diffusion, c’est formidable et nous aimons passer d’un espace à autre, mais le chapiteau reste l’essence même du cirque et gardera toujours cette dimension de rêve perceptible dès le premier camion arrivé sur la place ! À mon sens il ne peut pas être écarté.

Créer sous chapiteau peut-il entraîner une sorte de formatage de la création en induisant que l’on doit plaire au plus grand nombre pour assurer des tournées nécessaires ?

A. R. : On n’a pas le droit de sous-estimer le public, et y compris les enfants qui ont un pouvoir d’analyse qui leur est propre et n’ont pas de problème à inventer l’histoire. Malheureusement, ce problème touche bien plus certains programmateurs qui pensent savoir ce qui est bon pour « leur public » et associent grand public ou public populaire à spectacle consensuel, ce qui nous porte préjudice !

Les artistes de cirque d’aujourd’hui ont-ils tendance à renoncer au chapiteau au profit des théâtres ? 

A. R. : Effectivement les moyens proposés aux artistes se réduisent d’année en année, les structures d’accueil n’ont plus les moyens d’accueillir plusieurs projets sous chapiteau. Seules des formations solides de troupe se risquent à entrer dans la danse, en  diversifiant les propositions afin de joindre les deux bouts et réussir à assumer un tel équipement.

Quelles sont les difficultés liées aux conditions de création et de diffusion sous chapiteau et comment y remédier ?  

A. R. : Aujourd’hui, le mot d’ordre est de dépenser le moins possible. Il nous faut donc monter le chapiteau au plus vite, jouer les spectacles qui entrent dans la programmation et que les abonnés auront remplis, puis démonter rapidement et quitter la place. L’esprit même de l’itinérance, le rêve de voir et découvrir le cirque et son spectacle est aboli. Pour nous c’est la course au temps et aux économies, le rythme de la tournée du cirque a perdu son humanité. Il faut donc réinventer cette itinérance, et prendre le temps. C’est ce que l’on a tenté avec la diffusion de notre dernier spectacle, Le bal des intouchables. La proposition était, parallèlement  aux représentations, d’imaginer avec les acteurs locaux des soirées sous le chapiteau bar, de proposer des ateliers, master class, fêtes de quartier, cabaret… On ne manque pas d’idées ! Le Quai à Angers nous a suivis, ce fut un succès et son directeur Christian Mousseau-Fernandez m’a glissé à l’oreille : « cette aventure a ouvert les portes du théâtre à un public qui n’était jamais venu nous voir ». Nous essayons aussi de convaincre plusieurs lieux de s’associer afin de nous accueillir plus longtemps. Cette proposition s’est réalisée notamment à Nantes, sous l’impulsion de Catherine Blondeau et du Grand T, nous avons joué quatre semaines le chapiteau plein, grâce à l’association de trois structures. Si comme le disent certains responsables politiques et directeurs de structures, le chapiteau doit être préservé car il est l’identité même du cirque, alors on a besoin d’un véritable engagement politique afin de prendre en considération la réalité du poids d’un tel équipement. Le chapiteau est une salle de spectacle ambulante tout équipée. Son itinérance nécessite le matériel pour la monter, la démonter et la transporter, et bien sûr l’entretenir ! Et il y a le campement, aussi porteur de rêve, mais qui nécessite son installation, eau, électricité, douches, toilettes, etc. J’aimerais dire ici que toutes les aides dont nous disposons pour notre fonctionnement ne représentent que dix pour cent de notre budget annuel, et après dix-huit années de tournées sous chapiteau, où les moyens stagnent mais où les charges augmentent, nous arrivons à un épuisement qui aujourd’hui nous fait vaciller.

Y a-t-il des possibilités de stimuler la création sous chapiteau ?

A. R. : Le ministère de la Culture a créé l’aide à l’itinérance, qui permet de soutenir les compagnies qui tournent sous chapiteau et indirectement les lieux qui les accueillent, même s’il n’est pas possible d’y avoir accès plus de deux ans consécutifs, ce qui n’est pas très logique… Cette aide est néanmoins très précieuse et nous espérons qu’elle sera maintenue. Il faudrait que les collectivités territoriales s’engagent davantage aux côtés des compagnies de cirque et des lieux qui les accueillent et soutiennent, pour des aides aux projets, des aides à l’équipement et pour le fonctionnement de nos compagnies. Aujourd’hui, le chapiteau reste un choix que les équipes doivent assumer quasiment seules de A à Z.

 

Propos recueillis par Agnès Santi

 

A voir Salto Mortale de Guillaume Kozakiewiez, très beau film documentaire sur Antoine Rigot, qui, après un grave accident, n’a pas renoncé pas au cirque.

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