La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La danse dans tous ses états

L’art comme mode de dialogue et d’ouverture

L’art comme mode de dialogue et d’ouverture - Critique sortie Danse
Maguy Marin Crédit : Tim Douet

La danse, un art politique
Entretien / Maguy Marin

Publié le 23 février 2018

De May B à BiT, Maguy Marin s’attache à rendre compte de l’état de notre monde. Avec Deux mille dix-sept, sa dernière création, elle crée une danse politique qui se saisit de l’actualité.

Vous avez toujours créé des pièces très engagées, très en prise avec la condition humaine. Pourquoi ?

Maguy Marin : La danse est mon outil de travail et mon mode d’expression. C’est par la danse que je traduis ce qui me tient à cœur. Et la question politique me préoccupe depuis toujours, même si c’était peut-être plus inconscient au début de ma carrière de chorégraphe.

Quand en avez-vous pris conscience ?

M.M. : Sans doute dans les années 1990, au moment où j’ai créé Quoi qu’il en soit, un quintette de garçons où chacun racontait son histoire. La plupart d’entre eux étaient étrangers et je leur avais demandé d’écrire leur parcours et pourquoi ils se retrouvaient en France tous les cinq. C’est sensiblement au même moment que j’ai fait parler ma mère, qui m’a relaté sa vie de réfugiée, la guerre d’Espagne, dans un rapport à l’Histoire très intense. J’ai pris conscience de la transmission, du rapport aux aînés, à ceux qui s’étaient battus, et de ce que ma génération était en train de laisser à ceux qui venaient. Je pense qu’Umwelt a été un des moments où le rapport au monde m’a semblé évident, face à cette espèce de progrès dans lequel on s’engouffre sans trop se soucier de ce qu’on laisse derrière soi.

« La danse est mon outil de travail et mon mode d’expression. »

Deux-mille-dix-sept est une pièce très directement politique dans son propos. Qu’est-ce qui vous a poussée à une telle forme de création ?

M.M. :C’est une décision mûrie et non la colère qui a généré cette pièce. Voilà plusieurs années que je m’interroge avec attention sur la question de la forme.Umwelt a fait fuir le public lors de sa création, et finalement, l’impact politique de la pièce a été récupéré par l’esthétique des images. Cela fait plusieurs fois que je m’aperçois que les images qui véhiculent un propos peuvent le dévoyer à notre insu. D’où cette démarche plutôt directe dans Deux-mille-dix-sept : présenter une pièce comme celle-ci suppose un désir de dialogue avec un public. J’aimerais que l’art soit un support de débat ouvert, sans nécessairement susciter un rejet ou une adhésion, qui par leur entièreté évitent toutes les questions. Cet endroit d’ouverture manque terriblement dans la société actuelle. Donc pour moi Deux-mille-dix-sept est une tentative.

Comment le rapport entre danse et politique a-t-il évolué au fil du temps ?

M.M. : Le politique, c’est large. Pourquoi la sélection des danseurs a-t-elle été fondée, si longtemps, sur certains corps, glorieux, jeunes, dynamiques, minces, et pourquoi les autres corps ont-ils été bannis ? la réponse est politique. L’histoire du SIDA, de l’homosexualité, l’est aussi et beaucoup de créations se sont emparés de ces sujets depuis les années 80.  Même le fait de sortir des théâtres est une démarche politique. Si elles ne sont pas liées à une actualité particulière, toutes ces questions ouvrent une brèche pour sortir d’une norme imposée depuis notre enfance. Les artistes ont toujours créé des œuvres très engagées. Cependant, il me semble que le milieu de l’art les a récupérées et a anéanti l’impact politique de ces pièces. Parce qu’elles sont présentées devant des publics souvent acquis, dans des lieux qui ne sont pas élitistes mais demeurent peu fréquentés par tout un chacun. C’est pourquoi il faut se méfier des endroits où les pièces sont diffusées. Personnellement, je tiens à être programmée dans des lieux où le public est nombreux et non pas dans des salles plus ou moins confidentielles ou trop investies par la profession. Bien sûr, on y trouve assez peu de gens modestes, mais tout de même une part significative de la classe moyenne, que je trouve d’ailleurs plutôt ramollie et qui pourrait être plus active.

Quelles ont été les réactions du public face à vos oeuvres ?

M.M. : Quand j’ai présenté Umwelt, les réactions ont été très violentes. Globalement les années 2004-2010 environ ont été difficiles pour tous les artistes. Les gens hurlaient, voulaient être remboursés, montaient sur la scène, car le « produit artistique » ne leur convenait pas. J’entendais dire : « Moi aussi, j’ai le droit de m’exprimer ! ». Pour moi c’est à ce moment qu’il y a eu un basculement. On est passé d’une époque où les gens n’osaient pas dire ce qu’ils pensaient à une France décomplexée où on assumait ses positions, notamment celle d’être raciste, en affirmant clairement que « les étrangers prenaient le travail des Français » alors que, jusque-là, c’était mal vu de dire de pareilles choses. Ce qui est très curieux, c’était que cette population venait au théâtre, alors que l’on a tendance à croire que les spectateurs ont une ouverture d’esprit qui les préserve de ce genre de propos. L’atmosphère a changé ces dernières années, c’est plus calme, mais je ne sais qu’en penser. Les gens sont peut-être encore plus désemparés, voire anesthésiés.

Qu’est-ce que révèleraient les corps d’aujourd’hui ?

M.M. : Des blessures, car la concurrence est partout. Les corps sont atteints dans leur énergie. Il y a un rapport inquiétant au corps âgé, pour les danseurs mais aussi dans la vie. On est dans une société du jetable : dès que c’est un peu usé, on ne répare pas. C’est pareil pour les corps, on les jette socialement, on les abandonne, on les met ailleurs. Avec paradoxalement, une surmédicalisation et une propagande du bien-être, du soin, de l’attention à soi. En outre, le monde est devenu tellement violent que la façon de se protéger serait de ne pas savoir. Des gens m’ont dit ne plus pouvoir regarder des documentaires sur la guerre. On sait tout mais rien ne bouge. Cela me rappelle des gens de ma famille restés en Espagne qui trouvaient que c’était plus calme sous le Franquisme. Quelque chose me dit qu’il faut être très présent dans ce moment où nous vivons. Donc je vais continuer.

 

Propos recueillis par Agnès Izrine

A propos de l'événement

"Deux mille dix-sept" en tournée
du vendredi 2 mars 2018 au vendredi 2 mars 2018


les 16 et 17 mai à la MC2 de Grenoble.

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