Regard critique sur la représentation des corps
La danse, un art politique
Entretien Gaëlle Bourges
Publié le 23 février 2018
De À mon seul désir à Lascaux, Gaëlle Bourges ne cesse d’interroger l’histoire de l’art. Elle a créé il y a un an Conjurer la peur, inspiré d’une fresque du 14e siècle d’Ambrogio Lorenzetti : Des effets du bon et du mauvais gouvernement. Elle interroge au fil de son travail la portée politique de la représentation des corps.
» Les représentations ont toujours trait au politique. «
Gaëlle Bourges
Même si ce qui motive avant tout votre travail est la relecture d’œuvres plastiques et l’histoire des représentations, s’intéresser à la fresque en 2016 et 2017, au moment des vagues d’attentats et à la veille des élections présidentielles, ne fait-il pas de Conjurer la peur une pièce forcément politique ?
Gaëlle Bourges : Oui, bien sûr. J’ai même choisi de traiter de cette fresque parce que je savais que je ferais la création au moment des élections présidentielles françaises. C’était une manière de traiter du politique – plutôt que de « la » politique – en puisant dans des représentations anciennes, ici un véritable programme politique en images, dont je ne maîtrise pas toutes les subtilités, mais qui m’a sauté aux yeux dans ses grandes lignes quand j’ai visité le Palazzo Pubblico à Sienne : on voit une ville où l’on détruit des immeubles du côté de la guerre, et une ville où il fait bon vaquer à ses occupations du côté heureux.
Dans quel contexte avez-vous réalisé le film Faire campagne ?
G.B. : Le film Faire campagne est notre réponse à une commande de web série faite par l’association « Chahuts », basée à Bordeaux, sur un projet intitulé « Campagne, la fabrique du langage politique ». Il s’agissait de porter un regard critique sur la campagne présidentielle sous forme de film court, en travaillant avec un chercheur et un cinéaste de son choix. J’ai proposé à la sociologue Jeanne Lazarus – qui travaille sur l’argent et les banques – d’être de la partie et nous avons écumé tous les discours des candidats sur une période volontairement très courte – trois jours exactement –, en relevant uniquement dans les allocutions ce qui concernait leur conception du travail et de l’argent. J’étais alors en pleine création de Conjurer la peur, et il m’a semblé pertinent de « basculer » les extraits des discours dans les images anciennes pour les réactiver. Tout est déjà dans la fresque, même si elle date du 14e siècle et qu’on ne peut évidemment pas établir d’équivalence directe entre la ville de Sienne en 1338 et la France d’aujourd’hui : on y trouve pourtant déjà le rapport au travail, à l’argent, au partage ou non des richesses, à la corruption, la fraude, au besoin de justice sociale, etc. Lorenzo Recio était le cinéaste idéal pour réaliser ce film, car il fait aussi du cinéma d’animation et aime énormément la peinture et l’histoire de l’art.
Lorsque vous avez travaillé sur le nu féminin, n’y avait-t-il pas, là aussi, un aspect politique ?
G.B. : Les représentations ont toujours trait au politique, à la fois parce que l’image elle-même informe sur la production d’images d’une époque (ce qui est possible, tenté, caché, incertain, valorisé, discriminé, etc.) et sur le rapport à la norme de la personne qui la réalise. On remarque par exemple qu’il y a globalement plus de nus féminins que masculins dans la peinture occidentale à partir de la Renaissance. On pourrait se dire : « ah, c’est parce que c’est plus naturel de voir des femmes nues que des hommes nus ». Evidemment, il n’y a rien de naturel à cette construction historique de notre regard. Le dire est déjà une façon de traquer l’articulation entre représentation des corps et discours sur le corps constitutif d’une époque, ou de l’histoire d’une culture donnée. C’est par ce prisme que j’aime me pencher sur les images anciennes.
Propos recueillis par Delphine Baffour
A propos de l'événement
Conjurer la peurdu jeudi 15 mars 2018 au jeudi 15 mars 2018
le 17 avril à La Passerelle, Saint-Brieuc.
Le bain : Atelier de Paris-Carolyn Carlson, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris. Le 29 mars à 14h30, le 30 mars à 10h, le 31 mars à 17h. Tél. 01 417 417 07. Durée : 45 mn. Création janvier 2018 au CCN de Tours.
Également les 13 et 14 mars au Vivat d'Armentières, les 15 et 16 mars à La Scène, Louvre-Lens, du 22 au 24 mars au Grand Bleu, Lille, du 20 au 22 avril à la MJC Trégunc, Le Sterenn, le 17 mai Salle CCAS, Morgat.
Revoir Lascaux : du 10 au 14 avril au Théâtre de la Ville, Espace Pierre Cardin.