L’acteur marionnettiste, se projetant dans un personnage extérieur

Le marionnettiste est d’abord un acteur, qui joue d’un instrument, la
marionnette. Il possède toutefois une singularité, en ce qu’il se projette dans
le personnage, qui lui est matériellement extérieur. Les soubassements de
l’interprétation diffèrent selon le type de manipulation. Avec le castelet, qui
dissimule le manipulateur, le Paradoxe sur le comédien de Diderot sert de
référence. En revanche, pour la manipulation à vue, la distanciation brechtienne
constitue l’appui théorique, que j’ai étayé avec un concept particulier : le
corps-castelet. L’acteur assume en effet deux fonctions. Tantôt, il est
partenaire de la marionnette, tous deux étant alors en jeu, ce qui convoque la
mise en scène du rapport du manipulateur au manipulé. Tantôt, il s’efface
derrière la marionnette, qui prend en charge l’interprétation, et il doit alors
créer avec son corps un espace scénographique à l’intérieur duquel il manipule
le personnage.

Il est fondé sur la projection de l’acteur dans le personnage incarné par
l’effigie et part de la marionnette à gaine, directement branchée sur le corps
du manipulateur. Toute animation vient de l’impulsion physique de l’acteur. Le
travail corporel occupe une place importante dans mes cours. Dans le castelet,
la marionnette assume entièrement, aux yeux du public, la profération du texte.
Cette position appelle une technique spécifique de phrasé : toute séquence dite
par l’acteur engendre l’invention de mouvements, les plus économes possible et
exactement synchrones. La formation passe évidemment par le travail
instrumental, c’est-à-dire la maîtrise de la grammaire de la manipulation,
pratiquée à travers une cinquantaine d’exercices très précis, comme les gammes
du pianiste. L’enseignement comprend aussi l’initiation aux autres modes (à
gaine, à fil, tringle, tige,), la création plastique, scénographique?

La marionnette est un extraordinaire instrument d’apprentissage du jeu, parce
qu’elle met en ?uvre concrètement la dissociation entre l’acteur-personnage et
l’acteur-homme, individu présent.

Propos recueillis par Gwénola David