La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La formation théâtrale en France

Itinéraire difficile et passionnant? jusqu’à l’indépendance

Itinéraire difficile et passionnant? jusqu’à l’indépendance - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

Auteur, metteur en scène et comédien, Wajdi Mouawad a quitté son Liban natal
à huit ans pour Paris puis Paris pour le Québec huit ans plus tard. Diplômé de
l’Ecole Nationale de Théâtre du Canada, il est aujourd’hui un des artistes les
plus prisés de sa génération.


Pouvez-vous décrire la formation que vous avez reçue ?

Wajdi Mouawad : L’École Nationale de Théâtre du Canada a été fondée par
un grand comédien québécois, Jean Gascon, et par Michel Saint-Denis, qui
participa aussi à la fondation du TNS. En cela cette école suit les mêmes
principes que sa cousine strasbourgeoise où toutes les disciplines sont
enseignées. l’ENTC, cependant, offre un enseignement soit en français, soit en
anglais, du fait du bilinguisme canadien, mais de manière indépendante, surtout
en ce qui a trait au jeu et à l’écriture, comme s’il y avait deux écoles à
l’intérieur du même édifice. J’y ai, pour ma part, suivi une formation de
comédien entre 1987 et 1991. Je n?ai eu aucune formation universitaire et je
n?ai, à proprement parler, aucun diplôme. L’École Nationale est arrivée dans ma
vie comme un étrange miracle puisque je me dirigeais allègrement vers un réel
décrochage scolaire. Côtoyer les metteurs en scène ( quatre par année ) qui
étaient parmi les plus actifs dans le milieu du théâtre québécois, obligeait à
être au fait des textes de théâtre qui se jouaient, les contemporains comme les
classiques, et cela m’a donné la possibilité d’avoir une formation littéraire
sur le terrain, en plus des textes que l’on devait jouer. À force de dire les
mots des autres, j’ai fini par avoir envie de dire les miens. À force de
découvrir une diversité dans les façons de faire du théâtre, j’ai fini par
développer la mienne. Mais plus important encore, ce furent les rencontres avec
les autres élèves de toutes les disciplines et les amitiés qui en sont nées qui
ont eu une incidence fondamentale sur ma vie : c’est avec eux que j’ai fait mes
premiers spectacles. L’école m’a apporté beaucoup, l’essentiel, même si elle m’a
aussi totalement traumatisé. L’école de théâtre est une machine à fabriquer des
peureux car elle nous met tous en compétition tout en rendant taboues les
jalousies et les envies. Cette situation schizophrénique fabrique des névrosés
qui, plus tard, donneront des acteurs souvent formidables mais absolument
insupportables, à l’ego surdimensionné, et complètement aliénés dans leurs
frayeurs. L’école forme des machines à envier. Plus tard, en commençant à
enseigner moi-même à l’école, j’ai souvent trouvé nécessaire d’évoquer cela avec
les élèves pour me rendre compte que tous partageaient la même frayeur. J’ai
fini par comprendre que l’école de théâtre n’est pas un service de formation,
mais un monstre contre lequel il faut se battre quatre ans durant pour garder
son intégrité. Or, et c’est justement ce qui est paradoxal, ce qui a failli vous
détruire vous a formé pour mieux comprendre ce qui compte réellement à vos yeux.
Pour réussir une école de théâtre, il faut détester de toute son âme cette école
sans pour autant la fuir. Plus votre détestation est grande, meilleure sera
votre formation car pour détester une chose il faut avant tout être en mesure de
la comprendre complètement, d’en faire le tour et de la maîtriser. C’est
compliqué quand on n?a que vingt ans !

« Mes véritables maîtres furent ma génération, mon époque, le monde et
l’Histoire. »

Avez-vous eu des maîtres ?

W. M. : Je n’ai pas eu de maîtres. J’ai eu des rencontres. Des metteurs
en scène ou des artistes qui sont venus, soit prononcer une conférence, soit
enseigner. Parfois ce fut très court, une demi-phrase prononcée au détour d’un
couloir, ou dans un café. Ce n?est rien, mais un rien qui vous fracasse le crâne
tellement il vous illumine. Je pense à une conférence sur la marionnette
qu’Antoine Vitez était venu faire. Je pense à une discussion dans un couloir
avec Jan Kutt venu nous parler de Shakespeare. Je lui avais demandé quelle pièce
de Shakespeare je devais surtout lire. Il m’avait répondu que je devais, à mon
âge, lire et relire Hamlet. Cette simple phrase me resta dans l’esprit et
me donna, trois ans plus tard, une des idées maîtresses pour écrire ma première
pièce Willy Protagoras enfermé dans les toilettes. Mais mes véritables
maîtres furent ma génération, mon époque, le monde et l’Histoire, la chute du
Mur de Berlin et la Guerre du Golfe. Mon style, si j’en ai un, provient de tous
ces amalgames que je n?ai jamais cessé de faire puisque la vie les a faits avec
moi, mélangeant les langues, les cultures et les pays.

Vous êtes auteur, metteur en scène et comédien. Comment se lient et
s’harmonisent ces activités ?

W. M. : Cela s’est fait par ricochet. Ma formation de comédien a façonné
à mon insu l’auteur que je ne savais pas encore que j’étais. Plus tard, j’ai
découvert que j’aimais tout au théâtre et dans un théâtre. Une de mes
professeurs les plus importants, Andrée Lachapelle, m’a fait comprendre combien
il était important de dire bonjour au concierge, de saluer les guichetiers, les
placiers, les placières. C’est quelque chose qui a beaucoup compté pour moi car
le théâtre c’est avant tout des gens et non pas soi, seul, comme un peintre ou
un auteur. Du coup, tout s’est mis à me passionner : l’éclairage et la manière
d’accrocher un projecteur, la manière de faire tenir un mur, la production, les
budgets, la cantine, le papier toilette, les communiqués, les mots que l’on
emploie pour s’adresser aux gens. Tout me passionne au théâtre. Comment diriger
un acteur, comment jouer, comment écrire, comment réfléchir le théâtre, les
jalousies entre artistes, les repas d’après premières, le silence dans une
scène, son rythme, son souffle, la mise en place, comment on fait pour sortir
une chaise de scène, comment on fait du son, la manière de faire la fête avec
les acteurs, leurs amours extraconjugaux, tout me passionne. Alors évidemment,
quand j’écris, j’écris avec tout cela. Quand j’écris un texte dont je vais être
le metteur en scène, tout se mélange et les titres n’ont plus aucune importance.
Tout se mêle et alors oui, quand j’écris, je joue ce que j’écris. Tout cela a
commencé lorsque j’ai compris que n?ayant pas l’accent québécois, je serai
toujours considéré, au Québec, comme un acteur étranger ne pouvant jouer que
dans les pièces françaises ou bien les Arabes de service. Ce qui ne
m’intéressait absolument pas. J’ai donc voulu écrire mes propres pièces pour
pouvoir les jouer. Plus tard, lorsque mes premières pièces ont été mises en
scène par des metteurs en scène professionnels, j’ai failli assassiner tout le
monde tant je ne me reconnaissais ni dans les rythmes ni dans l’esprit de ce que
je voyais. J’ai choisi alors de faire moi-même mes mises en scène. J’ai eu la
chance d’être engagé, quelques années après la sortie de l’École, pour faire à
mon tour des spectacles avec les élèves de troisième et quatrième années. J’ai
appris à faire de la mise en scène grâce à ces élèves. J’ai pu faire des choses
folles et mettre en pratique ce en quoi je croyais. C’est là, en enseignant à
mon tour, que tout cet amalgame entre acteur, auteur et metteur en scène s’est
fait.

Propos recueillis par Catherine Robert

Bibliographie : les ?uvres de Wajdi Mouawad sont publiées chez Actes Sud
(Actes Sud-Papiers et Heyoka Jeunesse) et chez Leméac.

 

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