Entretien croisé avec Jérémie Rohrer et Julien Chauvin / Le Cercle de l’harmonie, un orchestre classique aux pratiques nouvelles.
©photo : Jérémie Rohrer et Julien Chauvin
photo : Jérémie Rohrer et Julien Chauvin
Publié le 10 juillet 2008
Julien Chauvin /
Le Cercle de l’harmonie, un orchestre classique aux pratiques nouvelles.
Fondé voilà à peine trois ans et conduit par les inséparables Jérémie Rohrer (direction) et Julien Chauvin (violon), l’ensemble multiplie les projets : enregistrement avec Philippe Jaroussky, opéra au Festival d’Aix en Provence… Rencontre.
Comment vous êtes-vous rencontrés ‘
Jérémie Rohrer : C’était lors d’un stage organisé par Jérôme Pernooen 1998. J’ai tout de suite été attiré par la manière qu’avait Julien d’aborder la musique : une curiosité, une exigence, une disponibilité et une envie vraiment singulières. Peu après, il est venu me voir avec un projet d’orchestre qui tenait compte à la fois de ses envies et de ses frustrations.
Julien Chauvin : Ce qui me frustrait, c’est l’attitude de certains musiciens d’orchestre : très souvent, ils perdent toute leur exigence. Ce que je voulais, c’est que les violonistes du dernier pupitre, par exemple, aient la même exigence qu’un soliste ou qu’un chambriste.
Comment travaillez-vous avec les membres du Cercle de l’Harmonie ‘
J. C. : On évolue et on grandit ensemble. Nous vivons avec tous les musiciens un apprentissage permanent. Nous n’arrivons jamais sur un projet en disant « je sais ce que je vais faire ». Et la clé de tout cela, c’est la confiance : elle doit permettre à chaque musicien de se remettre en question. Il n’y a que comme cela que la musique peut aller jusqu’au bout des pupitres.
J. R. : Nous voulions inventer un système pour pallier le déficit de curiosité et d’enthousiasme que nous constations dans des orchestres « permanents ». Il n’y a pas d’art dans le confort. Il faut une certaine insécurité.
Une insécurité également financière ‘
J. R. : Non. Un confort minimum est nécessaire et nous en sommes loin car nous n’avons aucune subvention publique. La situation est ubuesque : le rôle de l’État devrait être d’aider les artistes pour qui il est dur de jouer sans un soutien matériel. Au lieu de cela, des orchestres modernes sur-subventionnés ne remplissent pas leur cahier des charges.
« Je pense que l’on doit toujours essayer de se rapprocher de la volonté du compositeur. » Jérôme Chauvin
J. C. : Pour l’instant, ce sont les musiciens qui, en acceptant des salaires anormaux, permettent à l’ensemble de s’en sortir.
Jérémie Rohrer, le fait que vous soyez également compositeur a-t-il un impact sur votre travail de chef ‘
J. R. : Cela oriente totalement mon attitude d’interprète. Je pense que l’on doit toujours essayer de se rapprocher de la volonté du compositeur. Un Mozart ou un Haydn a fatalement écrit pour des outils, c’est-à-dire les instruments de son temps.
J. C. : Avec le Cercle, on ne jouera donc jamais un opéra de Mozart avec un hautbois moderne. Cela ne veut pas dire qu’il faut faire les choses de manière dogmatique – on veut bien s’en garder – mais c’est quelque chose de fondamental.
La musique du XVIIIe siècle est votre répertoire de prédilection…
J. C. : Nous avons un goût partagé pour la naissance du classicisme. C’est pour moi le moment de l’apparition – passionnante – de la conscience orchestrale propre. Avec les mêmes instruments se déploie un langage très différent.
J. R. : Le Cercle de l’harmonie ne doit pas être identifié à un énième orchestre baroque mais à un « orchestre classique ».
Propos recueillis par A. Helmbacher