La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Le Cirque contemporain en France

Ecriture et inspirations littéraires

Ecriture et inspirations littéraires - Critique sortie
Le Cirque Baroque de Christian Taguet version multicordes : Le Cirque des Gueux s’inspire de L’Opéra des Gueux de John Gay © D. R.

Croisements de vocabulaires

Publié le 11 novembre 2014

Longtemps rejeté hors piste, le texte s’invite volontiers sous chapiteau. Le cirque puise désormais dans la littérature et revendique une parole sur le monde actuel.

Longtemps bâillonné par décret d’Ancien Régime qui réservait l’usage de la parole à quelques théâtres autorisés, dont l’éminente Comédie-Française, le cirque fit tradition de s’exprimer par pantomimes et autres arlequinades, se distinguant dans les tours d’adresse, les sauts, la danse de corde et les exercices de haute voltige. Tant et si bien que lorsqu’en 1864, Napoléon abolit ces privilèges et redonna par la loi liberté de dialogues aux spectacles, le cirque reprit voix mais souvent se contenta d’interjections ou de messages de bandes-annonces, au mieux de discours didactiques que Monsieur Loyal improvisait pour faire lien entre les numéros. Né en Angleterre en 1768, il avait presque un siècle et déjà bien des habitudes… Fort heureusement, les clowns s’en mêlèrent et bientôt se mirent à dialoguer, rivalisant de plus bel dans le comique verbal. Pour autant, même réduit au silence ou à quelques onomatopées, les grands spectacles de l’époque romantique s’inspiraient volontiers de scènes bibliques, d’épisodes de la mythologie grecque ou de hauts faits de l’Histoire de France pour théâtraliser les athlétiques prouesses. La silhouette du texte et du référent littéraire serpentait depuis longtemps sur la piste, avant de s’affirmer au grand jour avec l’émergence du « nouveau cirque », au tournant des années 80. Rompant avec la succession de numéros qui ordonnait le programme traditionnel, des artistes désormais tissent la trame d’un récit pour faire sens et dessinent des personnages qui s’échappent du carcan des archétypes et prennent épaisseur humaine. La littérature dès lors offre une source inépuisable d’inspiration. Le Cirque baroque de Christian Taguet notamment y puise quelques-unes de ses grandes créations : Candides d’après Voltaire, Ningen d’après Mishima et Frankenstein d’après Shelley. Le Théâtre du Centaure pousse l’expérience en jouant Les Bonnes de Genet dans un espace ritualisé où s’affrontent deux chevaux noirs et un cheval blanc, faisant corps avec Madame et ses deux bonnes. Portés par l’action dramatique, les actes de virtuosité deviennent figures métaphoriques où s’incarne l’ombre portée des mots.

Le cirque tient conférence

Le texte peu à peu se glisse donc parmi les matériaux divers qui participent de l’écriture circassienne et s’insère dans l’agencement de signes donnés à voir et qui donnent à voir… ou à imaginer. Il braconne parfois hors des sentiers balisés de la littérature, collectant des bribes d’actualité ou des témoignages, comme dans Base 11/19 de Guy Alloucherie. Il se mêle aussi de philosophie, entre autres chez Yoann Bourgeois qui, dans L’art de la fugue, convoque la voix de Gaston Bachelard pour évoquer l’imagination poétique et les déformations du rêve. Le cirque tient même conférence : par exemple, dans Les Larmes de Bristlecone, Jambenoix Mollet, artiste de cirque et anthropologue, développe un exposé fort savant sur la physicalité des émotions, tiré des travaux du neurophysicien américain, puis reproduit sur scène l’expérimentation qui bascule dans un univers fantastique. En revendiquant son emprise sur l’ici et maintenant du monde et un point de vue sur la société d’aujourd’hui, le cirque contemporain développe des écritures artistiques singulières qui croisent à leur manière des vocabulaires textuels, corporels, musicaux et visuels. Mais parce qu’il suspend les principes de réalité qui fixent nos références communes, il impose un rapport au réel non pas fondé sur la mimesis mais sur l’« extra-ordinaire » et la symbolique… ouvrant l’imaginaire à l’infini.

 

Gwénola David

A propos de l'événement


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