La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Le Cirque contemporain en France

Etrange étrangeté

Etrange étrangeté - Critique sortie
Crédit photo : Daniel Michelon Légende photo : Yann Frish et Eva Ordonnez-Benedetto

Cirque et procession de création / Oktobre / Conception Oktobre / Mise en scène Florent Bergal

Publié le 11 novembre 2014

C’est au lointain du réel que s’ébattent les étranges personnages d’Oktobre. Ils sont trois et vivent là un temps affranchi des repères orthonormés qui habituellement censurent le possible. Sous la houlette de Florent Bergal, Yann Frisch, champion du monde de magie en 2012, Eva Ordonez-Benedetto, trapéziste de haut vol, et Jonathan Frau, acrobate contorsionniste, donnent corps à ces états d’âme particuliers.

Comment se sont dessinées les premières lignes de cette création ?

Yann Frisch : Nous avons commencé à travailler ensemble au Lido, l’école de cirque de Toulouse. Même si chacun explorait une discipline différente, nous partagions un même univers : noir, parfois violent, absurde, baroque au sens étymologique, c’est-à-dire irrégulier, qui dévie par rapport à la norme, donc bizarre, inattendu, contradictoire… La création d’Oktobre s’inscrit dans la continuité des essais que nous avons menés au studio du Lido.

Eva Ordonez-Benedetto : Cet univers est aussi empreint de cruauté, qui jaillit soudainement et renvoie à la brutalité des rapports sociaux actuels. Les personnages sont aux prises avec leurs propres névroses, sans empathie aucune pour autrui.

« Le cirque et la magie permettent d’incarner ce qui devrait être raconté. » Yann Frisch

Pourtant, tout semble être jeu.

Yann Frisch : Tous les personnages jouent à jouer, jusqu’au point où le jeu devient ou pourrait devenir réel. Nous effleurons sans cesse la limite entre le simulacre et la réalité, ce qui est aussi une façon de mettre en question le « vrai » et le « faux ». Tout comme la magie et le cirque interrogent les limites du réel. Les règles sociales sont ici traitées comme n’importe quel jeu et ce jeu avec les codes bourgeois compose une étrange comédie humaine, qui confine souvent à l’absurde et provoque le rire et l’effroi.

Le spectacle échappe à la structure narrative mais se compose de tableaux, comme un jeu qui recommence sans cesse… Comment avez-vous élaboré l’écriture ?

Yann Frisch : La dramaturgie repose sur une structure cyclique, comme un huis clos sans échappatoire, qui se répète à l’infini. L’écriture procède par répétitions, allitérations, décalages, auto-référencements, déplacements… On dérive peu à peu vers un cauchemar.

Eva Ordonez-Benedetto : Florent Bergal, que nous avions connu en tant que pédagogue, nous a rapidement rejoints pour accompagner le processus de création comme regard extérieur : il nous a aidés à pousser les énergies, à affirmer les traits des personnages, à définir des situations conflictuelles qui révèlent la nature de chacun, puis à épurer l’écriture.

Qu’apportent le cirque et la magie dans la dramaturgie ?

Jonathan Frau : Les torsions et renversements que permet l’acrobatie reflète l’état intérieur de chacun, aux prises avec ses conflits intimes et ses obsessions.

Yann Frisch : De même pour la magie. Je me débats avec des objets, qui sont la manifestation de mes angoisses. Le cirque et la magie rendent concret, tangible, ce qui normalement relève de l’impossible. Ils permettent d’incarner ce qui devrait être raconté. Chaque technique de cirque se fait métaphore à travers le corps d’un état d’âme. C’est ce qui en fait un langage poétique.

 

Entretien réalisé par Gwénola David

Oktobre par la compagnie Oktobre. Tournée en cours.

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