Etat des lieux de la danse en France
« Comme un sculpteur qui doit approcher le bloc de marbre… »
Depuis trente-cinq ans, Maguy Marin est au cœur de la danse contemporaine en France. Elle a participé à ses bouleversements esthétiques, ainsi qu’à sa structuration institutionnelle et à l’invention de nouveaux outils pour les danseurs. Ses créations, sans compromis, ne cessent de remettre en jeu les définitions d’une œuvre chorégraphique.
Ce hors-série propose un « état des lieux de la danse »… Pour vous qui travaillez régulièrement sur des textes, y a-t-il encore une spécificité de la danse, notamment par rapport au théâtre ?
Maguy Marin : En effet, je ne vois pas bien la différence, quand un corps se présente, entre le fait qu’il ait à faire un geste ou à proférer quelque chose. Les textes d’auteur ne sont arrivés dans mes pièces que récemment – à partir de Turba, en 2007 – mais la voix, l’émission de son, qui sollicitent pleinement le corps, sont présentes depuis longtemps… La vraie question, pour moi, c’est : qu’est-ce que ce corps renvoie à celui qui regarde ?
« La vraie question, pour moi, c’est : qu’est-ce que ce corps renvoie à celui qui regarde ? »
C’est une question sur laquelle vous travaillez en étroite relation avec une équipe d’interprètes, qui vous accompagnent depuis de nombreuses années – alors même que vous avez vu se développer le régime de l’intermittence du spectacle…
M. M. : Je ne crois pas que le problème soit celui de l’intermittence ou de la permanence : quel que soit le statut, l’important est de parvenir à mettre en place des conditions de travail qui permettent d’avancer ensemble. Je ne sais pas comment je pourrais créer sans passer du temps à chercher, avec le compositeur Denis Mariotte comme avec les interprètes – qui sont bien plus que des interprètes, des collaborateurs – et tous les membres de l’équipe… Chaque pièce est secondaire par rapport au fond du travail. Il ne s’agit donc pas de choisir, pour un projet, les interprètes qui seraient adéquats, mais bien de travailler avec des gens sur le long terme.
Que va changer le fait de quitter le CCN de Rillieux-la-Pape ?
M. M. : La recherche va se poursuivre : chaque pièce soulève des questions, qui donneront lieu à la création suivante… Ces questions me travaillent déjà, mais je ne sais pas comment le travail va s’engager. A chaque fois, il s’agit de se ré-attaquer à la matière, comme un sculpteur qui doit approcher le bloc de marbre, sans peur, pour tenter de trouver les endroits par lesquels de l’énergie vitale, du sens, vont pouvoir passer… Ce qui va changer, bien sûr, ce sont les moyens. Au CCN nous avions des conditions de travail optimales conduisant, presque « naturellement », à concevoir de grandes pièces, mais cela m’intéresse aussi de travailler une échelle plus réduite…
La question des espaces de travail (les CCN de Créteil et de Rillieux-la-Pape que vous avez dirigés, le lieu Ramdam que vous avez ouvert avec Denis Mariotte…) traverse votre parcours. De quel type de lieux les danseurs ont-ils besoin aujourd’hui ?
M. M. : Il y a une vraie pénurie de lieux de danse, et tout particulièrement de lieux de recherche, qui n’attendent pas de résultats immédiats. Je vois d’ailleurs plusieurs initiatives privées qui – de façon très modeste si on les compare aux institutions – inventent de telles alternatives à la diffusion officielle : lieux de travail, petits festivals avec hébergement chez l’habitant… De nombreuses compagnies survivent grâce à ces lieux vitaux : des endroits où travailler, où dormir, où manger ; où l’on puisse se concentrer sans être coupé du monde, partager les repas avec d’autres artistes, confronter sa recherche à un public restreint… Malheureusement, ces espaces subsistent sans moyens : il faudrait les soutenir, sur le plan financier, pour qu’ils puissent pleinement jouer leur rôle…
Propos recueillis par Marie Chavanieux