La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Spécial Opéra - Saison Lyrique 2017-2018

Autres lieux, autres formes, autres thèmes…

Autres lieux, autres formes, autres thèmes… - Critique sortie Classique / Opéra
Photo : Les Brigands d’Offenbach joués dans les villages par l’Ensemble Justiniana. © Ensemble Justiniana

GROS PLAN /
PETITES FORMES LYRIQUES

Publié le 27 septembre 2017 - N° 258

Les petites formes, portées par des équipes passionnées, ont permis de diffuser l’art lyrique auprès d’un plus vaste public à travers tout le territoire. Une approche différente de la musique, mais aussi des réalités sociales.

Quand il a abandonné les tréteaux et les places des villes de foire, quand il s’est réfugié dans ses beaux édifices exprès construits, le théâtre a changé de visage. La création de l’Académie royale de musique par Louis XIV, suivie de l’édification de salles ad hoc, lance le mouvement d’institutionnalisation du genre – alors nouveau – de l’opéra, en un processus similaire à celui qui voit créée, pour le théâtre, la Comédie-Française. Toujours plus grands, les théâtres lyriques se font aussi de plus en plus somptueux et s’intègrent aux grands projets urbains. À Paris, l’Opéra de Charles Garnier (inauguré en 1875) est autant un lieu de pouvoir que de musique. Un siècle plus tard, la donne n’a pas vraiment changé et l’Opéra Bastille, avec ses 2700 places, pousse un peu plus loin le gigantisme, censé accompagner la démocratisation de la culture.

Une autre voie est possible

Une autre voie, pourtant, est possible. C’est celle que suivent les Compagnies nationales de théâtre lyrique et musical et tous ceux qui privilégient les « petites formes » lyriques, comme Samuel Achache et sa compagnie La Vie brève, qui avaient redonné un souffle incroyable au Didon et Énée de Purcell avec leur Crocodile trompeur, ou Benjamin Lazar, mettant en scène une Traviata rendue à l’intime. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que ces deux productions aient été présentées à Paris sur la scène des Bouffes du Nord, lieu des expérimentations menées sur l’opéra, il y a bientôt quarante ans, par Peter Brook (La Tragédie de Carmen). Bref, il s’agit de faire de l’opéra autrement, sans céder à la démesure et en s’affranchissant des contraintes que font nécessairement peser les grandes institutions – la pesanteur étant en quelque sorte la rançon de la sophistication.

Le défi de la démocratisation

Pourquoi ? La réponse est peut-être d’abord sociale et territoriale. Il ne peut y avoir de théâtres partout et de maisons d’opéra encore moins. Et si les vagues successives de décentralisation ont parfois permis l’éclosion ou la renaissance d’une activité lyrique, ce sont surtout les métropoles qui en ont bénéficié, voyant leurs théâtres lyriques confortés, en particulier par l’attribution – à certains – du label d’Opéra national. Cela ne suffit cependant pas à tresser un maillage suffisamment dense pour relever le défi démocratique de l’accès à l’opéra. Quand elle crée l’Ensemble Justiniana en 1982, Charlotte Nessi a l’ambition de porter l’art lyrique « sur le terrain ». Trente-cinq ans après sa création, restée fidèle à ses origines (toujours installée en Haute-Saône), la compagnie poursuit sa mission de diffusion de l’art lyrique à travers toute la région Bourgogne-Franche-Comté. Cet été, Justiniana déclinait pour la dixième fois son concept d’« opéra promenade » : un Don Giovanni de poche, avec sept jeunes chanteurs et onze musiciens, à découvrir de ville en village, au détour d’une rue ou au beau milieu d’une place. On pense alors à la magnifique Histoire du soldat de Stravinsky et Ramuz, réinventant sur les routes vaudoises le théâtre musical au début du 20e siècle.

Faire entrer la ruralité à l’opéra

D’autres lieux, d’autres publics, mais aussi d’autres thèmes. Justiniana ne se cache pas de faire entrer la ruralité à l’opéra : la forêt des contes est bien souvent le décor de ses productions (Hansel et Gretel d’Humperdinck en 2016, Into the Woods de Stephen Sondheim cet automne ou encore La Petite Renarde rusée de Janacek, dans l’inusable mise en scène créée par Charlotte Nessi il y a près de vingt ans). Et La Guerre des boutons, « opéra des champs » de Philippe Servain d’après Louis Pergaud, écrit pour les enfants des ateliers de chant, danse et théâtre animés par Justiniana, emboîtait le pas, dans ce genre, à Chat perché, opéra rural de Jean-Marc Singier créé en 2011 à l’instigation d’une autre compagnie nationale de théâtre lyrique et musical, l’Arcal. Après avoir déjà innové avec la commande de sept contes musicaux, l’ensemble Musicatreize croise aujourd’hui l’opéra et le polar (un genre qui a toujours accompagné les évolutions sociales) dans des « cantates policières » confiées à un librettiste (Sylvain Coher) et trois compositeurs (Juan Pablo Carreño, Alexandros Markéas et Philippe Schoeller). Croisant en 2015 La Fabbrica illuminata de Nono (« une œuvre qui fait entendre l’usine et les ouvriers ») et les mots de Pasolini, Christine Dormoy, fondatrice de la Compagnie Le Grain-Théâtre de la Voix, entendait faire sienne la démarche de l’écrivain, « un artiste qui prend la parole dans son siècle, une parole qui avance en étant poétique ». Changer le format, penser hors des institutions, c’est aussi sortir des conventions et s’autoriser à représenter ceux qui n’ont pas droit de cité sur les scènes lyriques.

 

Jean-Guillaume Lebrun

A propos de l'événement


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