Créer et partager malgré les tragédies du monde
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Avignon / 2016 - Entretien / Gérard Gelas
Le Chêne noir reprend un de ses spectacles emblématiques : Gérard Gelas et Damien Rémy rendent hommage à Antonin Artaud et font entendre les mots du poète visionnaire. Viatique pour l’époque !
« Le cri du poète sourd comme un geyser. »
Pourquoi reprendre ce spectacle ?
Gérard Gelas : C’est un de nos spectacles emblématiques, créé en 2000. Depuis, il a beaucoup voyagé, en France, mais aussi en Corée, en Tchéquie, en Allemagne et en Italie. C’est un spectacle que Damien Rémy, comédien hors normes, porte de manière absolue. Reprendre ce spectacle, c’est donc redire mon amour pour Artaud et l’extraordinaire estime esthétique que j’ai pour Damien Rémy. Ce drôle de spectacle a d’ailleurs une étrange histoire : il a failli être mort-né ! Juste après sa création, j’ai reçu un coup de téléphone de Serge Malausséna, neveu et ayant droit d’Artaud, me demandant si j’avais les droits d’adaptation de la conférence du Vieux-Colombier. J’avais oublié de les demander ! Comme si j’étais un proche, en dehors de tous les contrats qu’il faut signer dans ces cas-là ! Je m’excuse. Je supplie qu’il ne demande pas qu’on arrête le spectacle. Il me demande alors de lui envoyer l’adaptation. Quelques jours plus tard, il me rappelle : « vous avez les droits ». Paule Thévenin (ndlr son travail de transcription des œuvres a été contesté par Serge Malausséna) avait ajouté des choses à cette conférence et c’était celles que j’avais coupées ! Serge Malausséna est même venu au Chêne noir faire une conférence et a donné sa bénédiction jusqu’à la fin des temps !
Quel est l’intérêt de ce texte ?
G. G. : Le 13 janvier 1947, Artaud a cinquante ans. La drogue, la maladie et les électrochocs l’ont considérablement diminué. Robert Kanters décide de louer la salle du Vieux-Colombier pour l’aider financièrement et le faire entendre. Tout un aréopage d’intellectuels et d’artistes qui savent à quel niveau de génie et de misère il est, sont présents. Artaud entre, il tape sur la table, se lève, disparaît, revient, crie, repart. Il ne prononce pas la conférence prévue. Mais le texte était écrit et Paule Thévenin le récupère. Ce n’est ni un texte simple ni un spectacle facile, mais dans l’espace désertique de la pensée contemporaine, la parole d’Artaud est essentielle. Contre l’omniprésent commentaire du commentaire, le cri du poète sourd comme un geyser, comme chez Rimbaud, Lautréamont et tant d’autres artistes qui ne sont pas des faiseurs. Aujourd’hui, on veut être efficace et rentable. Mais tel n’est pas le souci du poète. Notre société a recyclé la barbarie, c’est-à-dire l’extinction, l’abolition de la pensée. Artaud la fait revivre comme le cri absolu des profondeurs au milieu du ronron actuel.
Propos recueillis par Catherine Robert
à 17h (relâche les 11, 18 et 25 juillet). Tél. : 04 90 86 74 87.
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