La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Ariane Ascaride et l’éducation artistique / Elitaire pour tous

Ariane Ascaride et l’éducation artistique / Elitaire pour tous - Critique sortie Théâtre
©Ariane Ascaride dans Touchée par les Fées. Crédit : J.-L. Fernandez

Entretien Ariane Ascaride
Débat et réflexions / Education artistique

Publié le 13 juillet 2020 - N° 286

Femme de vérité et de sincérité, Ariane Ascaride rappelle les exigences de « l’élitaire pour tous » (selon la formule d’Antoine Vitez), la liberté de l’artiste et les exigences d’un travail en commun qui ne doit pas tourner à la confusion des genres.

Pourquoi faire entrer l’art à l’école ?

Ariane Ascaride : Sur cette question, je préfère répondre en partant du début : je suis une enfant et une élève de la République. Quand j’étais à l’école, on nous emmenait parfois au cinéma. Un jour, j’ai vu Le Ballon rouge. Ce n’est que bien plus tard, trente-cinq ou quarante ans après, que j’ai su que ce film d’Albert Lamorisse avait reçu la Palme d’Or du court métrage à Cannes et que c’était un chef-d’œuvre reconnu. N’empêche que moi, enfant, j’avais senti que ce film qui me faisait découvrir Paris (une ville que je ne connaissais pas), m’emmenait vers une poésie à laquelle j’adhérais. Quand j’ai eu des enfants, je leur ai montré ce film. C’est drôle, mais en racontant cette anecdote, j’ai l’impression de tout dire !

 

C’est-à-dire ?

A. A. : L’imagination n’appartient pas seulement à ceux qui ont de l’argent. Elle est à tous et à tous les enfants. Et même à ceux qui s’amusent sur le trottoir et dont j’étais. Arrêtons de croire qu’un enfant n’a pas d’imagination quand l’évidence en est éclatante ! Comme on n’a plus d’argent à consacrer à la nourriture de cette imagination, et plus vraiment d’envie de nourrir celle des plus pauvres, on prétend qu’ils en sont dépourvus. Pourtant, lorsque les enfants – et même ceux qu’on catalogue comme les pires – approchent la culture, il n’y a aucun problème ! Voyez l’aventure d’Anne Anglès (professeur au lycée Léon-Blum à Créteil), dont j’ai joué le rôle dans Les Héritiers. Avec une classe dite « pourrie », la plus mauvaise seconde du lycée, elle décide de préparer collectivement un concours d’histoire sur la déportation des enfants et ils gagnent ! Le film raconte cela, mais ce qu’il ne dit pas, c’est que deux ans après, dix-sept élèves de cette classe ont eu mention très bien au bac et que deux ans encore après, Ahmed Dramé, un des élèves d’Anne l’année du concours, a écrit le scénario du film dans lequel j’ai joué le rôle de sa prof !

« L’imagination n’appartient pas seulement à ceux qui ont de l’argent. Elle est à tous et à tous les enfants. »

Pourquoi, alors, accorde-t-on si peu aux enfants des milieux populaires ?

A. A.: Un pauvre, ça a des sentiments ! Faut pas croire ! Mais quand on lui demande de les exprimer dans la langue de l’art qui est la langue de la bourgeoisie et de ceux qui ont le pouvoir, il ne s’y reconnaît pas. Moi, je suis bilingue ! Il y a la langue que j’emploie ici et celle que j’employais avec ma mère. Ceux des milieux populaires ont un double travail à faire : apprendre la langue de l’art avant d’apprendre l’art. Donc la question qui se pose est aussi celle de la manière dont on aborde l’art et la culture avec les enfants. L’éducation artistique dans les écoles ne consiste pas seulement à y débarquer en commando pour y lire un poème ou jouer un air de musique ! C’est un véritable travail qui se pense, se réfléchit et se met en place progressivement. On n’arrive pas au milieu de nulle part en assénant « l’art, c’est ça ! ». Bien sûr que Rimbaud et Baudelaire peuvent parler immédiatement à quelques-uns, mais l’approche de la culture est infiniment plus complexe. Etre un spectateur s’apprend. On nous dit aujourd’hui d’inventer des formes nouvelles pour renouveler les publics. Inventez ! Inventez ! Mais cette injonction permanente est débile ! Ce n’est pas à l’art et aux artistes de s’adapter ! En revanche, il faut soutenir le travail qui devrait se faire dans les écoles pour conduire les enfants jusqu’à l’art, former les profs, les aider, ne serait-ce qu’en trouvant les moyens pour permettre aux enfants qui ne les ont pas de payer leur place ! C’est un art d’apprendre à devenir un spectateur car un spectateur n’est pas quelqu’un qui subit mais quelqu’un qui agit et interagit. Il y une utilité du spectateur et le théâtre n’est pas seulement une scène où l’on se montre. C’est bien pour cela qu’il faut choisir l’élitaire pour tous et hausser le niveau plutôt que de le baisser.

 

Comment expliquer alors qu’on le fasse si peu ?

A. A. : Tout le monde a le même QI mais tout dépend des conditions de son utilisation. Si on donnait à tous les gamins de Seine-Saint-Denis et des quartiers les moyens de son plein exercice, on serait surpris par le résultat ! On leur serine tellement qu’ils ne valent rien qu’ils finissent par s’exclure eux-mêmes en considérant que la culture n’est pas leur monde. Entrer dans le hall de l’opéra de Paris ? Moi, par exemple, j’ai mis des années à pouvoir le faire sans difficulté. J’avais l’impression que mon corps n’était pas fait pour entrer là-dedans. La France, pays de la culture ? Oui, mais de la culture bourgeoise ! Robert Guédiguian dit toujours « je fais des films pour des gens qui ne vont jamais au cinéma voir ces films-là ». Imaginons que ce que l’on propose au public le respecte enfin et le considère ; imaginons que la télévision cesse de le tirer vers le bas ; imaginons que l’on se donne enfin les moyens d’une éducation artistique exigeante : mais tout le monde va se mettre à penser ! Voyez les petits enfants : toute la journée ils inventent… Ils inventent des chansons, des histoires. L’école leur impose souvent d’inventer dans un seul sens alors que l’éducation artistique offre justement la possibilité d’inventer dans un autre sens. Comment les gens ont-ils survécu pendant le confinement ? En faisant la cuisine et le ménage ? Mais non ! En faisant du coloriage, de la peinture, des films, des chansons ! Personne n’est hermétique à l’art, et surtout pas les enfants, qui aiment la qualité. Nous le savons, nous artistes : le public scolaire est toujours très attentif quand le spectacle est bon !

 

Propos recueillis par Catherine Robert

Entretien réalisé dans le cadre de la publication du Carnet n°8 de L’Anthropologie pour tous, intitulé Pour une école des arts et de la culture. A paraître en septembre 2020. oLo Collection Site : www.anthropologiepourtous.com

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