La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Guillaume Clayssen / Montesquieu, notre contemporain

Guillaume Clayssen / Montesquieu, notre contemporain - Critique sortie Théâtre Paris L’Etoile du Nord

L’Etoile du Nord / Les Lettres persanes / d’après Montesquieu / adaptation et mes Guillaume Clayssen

Publié le 21 décembre 2015 - N° 239

Guillaume Clayssen adapte le roman épistolaire de Montesquieu pour interroger les tourments contemporains de la folle et haineuse intolérance : et si nous nous improvisions Persans ?

« L’autre ne nous plaît pas forcément, mais il faut aller vers lui. »

Pourquoi Les Lettres persanes ?

Guillaume Clayssen : J’avais un souvenir lycéen – et pas très bon ! – du texte, que j’avais étudié à l’époque de manière partielle et fragmentaire, comme une sorte d’exercice parfait de rhétorique du Siècle des Lumières, l’ironie philosophique se cachant derrière les Persans pour critiquer la société et la monarchie absolue. Mais en relisant le texte, une tout autre histoire m’est apparue, en trois actes. Au lycée, on n’étudie que l’acte II, celui du choc des cultures, mais rien sur l’exil, rien sur les larmes du sérail, rien sur ces femmes enfermées, ces eunuques qui les gardent, et rien, surtout, sur la dernière partie, féminine et féministe, celle de la révolte menée par Roxane, la favorite d’Usbek. La lecture prend un autre relief quand elle est complète : j’ai eu l’impression que Montesquieu avait écrit ce texte pour qu’on le lise aujourd’hui !

Cela a-t-il guidé votre désir de le mettre en scène ?

G.C. : Je crois capital de monter ce texte aujourd’hui pour trouver une voix alternative aux médias et aux politiques. Montesquieu n’a pas une vision aseptisée du rapport à l’autre : c’est une vision conflictuelle sinon tendue, avec des heurts. Quand Usbek arrive à Venise, puis à Paris, il prend conscience que tout est différent : ce n’est pas rien et c’est violent ! Et il y a cette âpreté dans le texte : l’autre ne nous plaît pas forcément, mais il faut aller vers lui. On ne peut se connaître soi-même que par l’autre, mais l’autre n’est pas un faux même, il demeure autre ! L’échange entre les Persans et les Français n’est pas paisible, il est inquiet : c’est la leçon de cette inquiétude que je veux retenir. C’est le contemporain qui m’anime dans ce projet, l’endroit de bêtise qui est le nôtre. Je crois que Montesquieu peut nous aider à sortir de l’obscurantisme et nous arracher à la pente sur laquelle nous glissons aujourd’hui.

Comment cela ?

G.C. : Montesquieu n’est ni dans l’éloge béat d’une culture étrangère, ni dans le sentiment de supériorité. Il n’est pas orientaliste, il n’érotise pas le sérail, il ne projette rien sur la solitude et la misère sexuelle de ces femmes. En cela, il est très sociologue : il décrit sans fantasmer. Cela en dit long sur sa clairvoyance et sa compréhension qu’il n’y a que des altérités. A cet égard, son texte relève d’un immense scepticisme. Mais c’est la seule voie pour que nous puissions vivre ensemble. Il n’y a pas de fondement sûr de nos identités. Tout est construction, et ce qu’on peut étudier c’est justement ces constructions. Ce pourquoi je crois qu’il faut que Les Lettres persanes soient prolongées par un dialogue contemporain avec ce texte.

Comment prolonger ce dialogue ?

G.C. : Par une mise en scène contemporaine. Comment faire un acte théâtral à partir de ce texte ? D’abord en essayant de nous poser les questions que pose le texte et en invitant les acteurs à prendre la parole. Dans l’épistolaire, demeure quelque chose qui empêche la théâtralité. Cela me pousse à chercher cet autre théâtre dont je rêve, qui nous inscrit dans un drôle d’espace onirique du possible, du voyage, entre réel et irréel. Je convoque toute une recherche sur les espaces possibles pour faire entendre ces lettres. Je prends la même liberté que Montesquieu, en créant de l’interstice, des lignes parallèles, des moments de théâtre comme un dialogue critique et lyrique avec le texte lui-même. Il s’agit d’être le plus fidèle en étant le plus singulier.

Catherine Robert

 

A propos de l'événement

Guillaume Clayssen / Montesquieu, notre contemporain
du mardi 26 janvier 2016 au samedi 13 février 2016
L’Etoile du Nord
16 Rue Georgette Agutte, 75018 Paris, France

Mardi, mercredi et vendredi à 20h30, jeudi à 19h30 et samedi à 17h. Tél. : 01 42 26 47 47. Tournée : Les Taps (Strasbourg), du 10 au 13 mai 2016 ; La Comédie de l’Est (Colmar), octobre 2016.

 

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