La Terrasse

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Théâtre - Critique

Georges Lavaudant met en scène « Le Misanthrope » avec Eric Elmosnino dans le rôle-titre : une brillante partition

Georges Lavaudant met en scène « Le Misanthrope » avec Eric Elmosnino dans le rôle-titre : une brillante partition - Critique sortie Théâtre Paris Athénée Théâtre Louis-Jouvet
© Maria Clauzade Eric Elmosnino et Astrid Bas dans Le Misanthrope

En tournée / Athénée/texte de Molière / mise en scène Georges Lavaudant

Publié le 27 janvier 2025 - N° 329

Que de beaux et marquants spectacles ont jalonné le parcours de Georges Lavaudant et des siens… Pour la première fois, il s’empare d’un texte de Molière, classique parmi les classiques, avec Éric Elmosnino dans le rôle-titre. Entrelaçant brillamment vérité intime et masque social, raison et déraison, la pièce crépusculaire, faussement  comique, éclaire et réfléchit les tumultes du genre humain. Une  partition de haute volée.    

Fin de partie. Dans une atmosphère crépusculaire, la pièce fait place de manière aiguë et brillamment orchestrée à la représentation d’une débâcle. À la contemplation du portrait d’un siècle, où chaque touche précise est dessinée par le sublime alexandrin de Molière qui, au 21e siècle, continue de frapper juste et qui, au-delà de ses codes, fait advenir aujourd’hui la puissance du théâtre. Georges Lavaudant et les siens donnent corps à ce portrait avec maestria, dans un très bel espace épuré et signifiant qui bien au-delà du miroir d’une époque se fait miroir d’une humanité à jamais condamnée à se supporter, dans un entrelacement infiniment complexe de l’être et du paraître, des vérités intimes et du masque social, de la raison et de la déraison. L’homme, cet animal, est tellement extravagant… Pourquoi espérer en des balivernes ? Malgré les smokings, dont certains clownesques et excentriques, malgré les sublimes robes de soirée, la fête est finie, et de tristes confettis jonchent le sol. L’atrabilaire amoureux qui peste contre ses congénères ne trouve aucune issue dans la vérité des cœurs qui, enfin, pourrait se dire et apaiser, mais dans une fuite radicale. Ici, pas d’intrigues ni de stratégies, pas de relations conflictuelles minées par l’autorité d’un père ou d’un mari, mais plutôt une galaxie de personnages de la bonne société engagés dans des duels qui interrogent le vivre ensemble, où se bousculent des désirs et aspirations contradictoires. Est-ce bien une comédie ? C’est un rire subtil que convoque la mise en scène ; malgré cette noirceur, nous pouvons en effet sourire avec délectation des tricheries, déviances, mensonges…

Portrait d’un siècle et portrait d’une incorrigible nature humaine

Dans ce siècle « de ruse » que Molière connaît si bien, où s’affairent tant de marquis de Cour et dévots, Alceste est ancré dans un paradoxe stimulant qui révèle la fragilité de la nature humaine. S’il est épris de sincérité au sein d’un monde hypocrite, il est épris aussi de Célimène, jeune veuve de vingt ans admirée de tous. Ces deux-là sont a priori vraiment mal assortis !  À chaque instant, Éric Elmosnino est un Alceste d’une profondeur, d’une plasticité et d’une humanité qui impressionnent : atrabilaire amoureux tranchant et fragile, terriblement en colère et accablé par une inévitable solitude, extrême dans sa volonté qu’on le distingue et son empressement à condamner. Mélodie Richard est une parfaite et gracieuse Célimène : elle aussi affirme résolument sa volonté, séductrice assurée qui se plait à médire et brillante jeune femme installée dans son siècle, bientôt prise en défaut. Accompagnée par la création sonore de Jean-Louis Imbert, la pièce constitue une partition remarquablement accordée, où se laissent voir une palette de contradictions et dissonances. Chaque personnage est incarné avec élégance et finesse : la réputée prude Arsinoé (Astrid Bas), les ridicules marquis Clitandre (Luc-Antoine Diquéro) et Acaste (Mathurin Voltz), la cousine « sincère » Éliante  (Anysia Mabe), l’ami mesuré Philinte (François Marthouret), le prétendant rimeur Oronte (Aurélien Recoing), les valets Du Bois (Thomas Trigeaud) et Basque (Bernard Vergne). La scénographie et les costumes de Jean-Pierre Vergier sont un modèle de réussite. À défaut d’un fastueux mariage qui n’aura pas lieu – la fin n’augure rien de bon… –, c’est finalement nous spectateurs et spectatrices qui sommes conviés à une fête. Celle du théâtre, qui se rit des vices du temps et réfléchit les tourments des âmes.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Le Misanthrope
du mercredi 12 mars 2025 au dimanche 30 mars 2025
Athénée Théâtre Louis-Jouvet


Durée : 2h. Spectacle vu à la création au Domaine d'O à Montpellier.

Aussi  les 1er et 2 mars 2025 à La Comète, Châlons-en-Champagne,

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