La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Festival

Frank Castorf

Frank Castorf - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 juin 2007

Le pire des mondes possibles
Frank Castorf de la Volksbühne monte Nord d’après Céline. Une description apocalyptique de la fin d’une Allemagne mais aussi d’une Europe, celle des collaborateurs repliés en Allemagne.

Nord est peu connu parmi les ouvrages emblématiques de Céline.

Frank Castorf : Nord est un récit de voyage issu d’une trilogie – D’un château l’autre, Nord et Rigodon – qui décrit la fin du Reich allemand. Zornhof où réside l’écrivain se situe à cinquante kilomètres de Berlin où je vis. Céline est en fuite ; quand il arrive en Allemagne, pays qu’il connaît bien, il le scrute comme pour une vivisection. Il décrit la chute de l’Allemagne vue d’en bas, du côté des fuyards, des travailleurs enrôlés de force dans les usines allemandes, des soldats SS pris dans la débâcle, des prisonniers de guerre. C’est une description qu’on ne trouve pas dans la littérature allemande ; elle permet de découvrir une forte présence européenne en Allemagne non mentionnée par l’Histoire officielle. Des hommes de toutes les nations erraient à travers les villes allemandes et avaient besoin de manger et de faire l’amour, ils essayaient de survivre dans cette antichambre de l’enfer. La description célinienne de cette apocalypse est surprenante car ces fragments, des esquisses d’une précision naturaliste extrême, donnent une impression presque surréaliste, reflètent l’Histoire de plus près et de manière plus vraie qu’un récit objectif. Je pense souvent au roman de Voltaire Candide, qui se passe aussi dans un château, et qui me rappelle celui de Zornhof. Mais si Voltaire part de la sentence de Leibniz pour qui le monde est «  le meilleur des mondes possibles », Céline décrit le pire des mondes possibles.

« La métaphore centrale sur le plateau de Bert Neumann sera celle du wagon de train. »

Comment cette oeuvre peut-elle résonner chez les spectateurs ?

F. C. : Céline est un monstre vomissant de la littérature, l’artiste qui dans une situation extrême s’arroge la liberté de vivre comme il l’entend. Un auteur qui saisit la vie de manière psychopathologique, en énonçant ce qu’il ressent et qu’on ne peut forcément juger à l’aune de nos catégories éthiques et morales, notamment à travers le politiquement correct que l’Amérique nous impose. Le choix d’une transposition dans le champ de la provocation est important. L’art est stimulant, il sert à éprouver les valeurs. Il s’agit de trouver, dans l’esprit du Siècle des Lumières, ce qui est vrai. Le provocateur diabolique a sa raison d’être, c’est pourquoi je n’aime pas faire le partage entre le bon et le mauvais, l’homme pratique et le théoricien, tous deux mêlés chez Céline. Il faut oser voir la quantité de mal qui peut se cacher dans un être humain.

Quelle scénographie privilégiez-vous ?

F. C. : La métaphore centrale sur le plateau de Bert Neumann sera celle du wagon de train. Il représente ce mouvement permanent de ceux qui ont traversé l’Europe entière dans la fuite, vers le front, vers Auschwitz. C’est la métaphore que nous ferons bouger sur le plateau en un seul décor. Quand je réfléchis à ce temps de guerre, ce sont ces images de train qui me viennent en tête, les directeurs des chemins de fer allemands savaient ce qui se passait à Auschwitz. Nous essayons de faire apparaître ces stations, Baden-Baden, Zornhof ou Berlin, avec ce wagon comme une histoire naissant de sa propre logique de train, comme une boîte de Pandore qui régurgite toutes ces histoires.

A propos de l'événement

Avignon 2007

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