La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

FRANÇOISE HERITIER raconte…

FRANÇOISE HERITIER raconte… - Critique sortie Théâtre Aubervilliers Théâtre de la Commune
Françoise Héritier, la grande dame de l'Anthropologie, nous donne un entretien fleuve à l'occasion d'un colloque organisé par notre collègue Catherine Robert au Théâtre de la Commune le 6 juin. Entrée libre.

COLLOQUE/L’ANTHROPOLOGIE POUR TOUS

Publié le 15 mai 2015 - N° 232

Françoise Héritier est anthropologue et ethnologue. Après que Claude Lévi-Strauss a occupé la chaire d’anthropologie sociale au Collège de France, elle y a inauguré la chaire d’Etudes comparées des sociétés africaines. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, le 15 avril 2015, elle évoque les carences de l’enseignement de l’anthropologie en France et le caractère quasi autodidacte de son propre parcours, avant qu’elle ne parte, en 1957, pour une première mission d’étude en Afrique. Elle a travaillé sur le terrain auprès des Samo, Pana, Mossi, Bobo et Dogon (Burkina-Faso et Mali). De 1967 à 1982, elle a été maître de recherches au CNRS, avant d’être élue au Collège de France en 1982. Son œuvre aborde les questions touchant à la parenté, au mariage, à la famille, aux rapports entre les hommes et les femmes, en étudiant particulièrement les fondements universels de la domination masculine.

Quel est l’état de l’enseignement de l’anthropologie en France ?

Françoise Héritier : Cette discipline n’est pas enseignée de façon universitaire partout : seules quelques universités délivrent un enseignement suivi. Par ailleurs, autant dire que cet enseignement n’existe pas au niveau scolaire, malgré quelques amorces. Pourquoi ? On peut l’expliquer de façon moqueuse, en remarquant qu’elle est rejetée comme d’autres disciplines, parce qu’elle oblige à la réflexion critique. Seule la philosophie y échappe, sans doute parce qu’elle est davantage considérée comme quête de soi que comme connaissance des ordres établis. Il n’y a pas non plus d’enseignement véritable de la sociologie ou de la paléontologie dans le secondaire, ce qui serait pourtant nécessaire pour ouvrir les yeux des enfants, des parents et des enseignants, ainsi que des politiques, sur un certain nombre de grands faits, notamment la théorie de l’évolution.

Pourquoi un tel oubli – voire un tel mépris – chez les hommes d’Etat ?

Françoise Héritier : Cela tient à leur formation, privée de tout contact avec les grands enseignements. Même à l’Ecole normale supérieure, dont sont pourtant issus la plupart de nos collègues, ce n’est pas ça qui compte le plus. Quant à l’ENA ou aux écoles de commerce, on n’y délivre pas cet enseignement ; on y organise parfois quelques conférences, pour lesquelles on envisage toujours les retombées économiques possibles des connaissances en anthropologie. Il faut aussi compter avec la volonté politique de museler la critique potentielle : aucun gouvernement ne peut tolérer ou favoriser l’expression de la critique. C’est presque de l’ordre du réflexe : un peu comme dans le rapport entre hommes et femmes, « sois belle et tais-toi ! »

« Je suis partie en Afrique sans avoir reçu un seul cours d’anthropologie ! »

Quelle était la place des sciences de l’homme dans les années 50 et 60 ?

Françoise Héritier : C’était une époque joyeuse, un peu trublionne, où on essayait toutes les idées en pensant que tout était possible. Dans ces années libres, on pouvait tester des choses qui paraissaient aberrantes. Ainsi, à la mort de Che Guevara, je me souviens d’un film qui durait plus de deux heures et au milieu duquel les images étaient remplacées par son portrait devant lequel on restait dans le noir pendant trois minutes. Essayez de faire tenir un public ainsi aujourd’hui ! Cela semblait une nécessité pour rendre lui hommage, et on était heureux d’y participer. Il y avait une esquisse non pas de révolte, mais d’une petite révolution pensable qui paraissait possible. Pour autant, je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu de la part du pouvoir, des instances ou des partis politiques de gauche, une plus grande écoute de l’anthropologie. C’était plutôt dans l’air du temps qu’on s’intéressait aux autres.

Cela tenait-il à la décolonisation ?

Françoise Héritier : Il y avait, en effet, à l’époque, le grand problème de la décolonisation. Je n’oublie pas que mes premiers pas sur le terrain, en 1957, étaient encore en Afrique coloniale. Avec le recul, je me rends compte que j’étais un peu timorée, et j’avais des camarades beaucoup plus actifs que je ne l’étais, mais il n’empêche qu’on était tous pour les décolonisations, pour les avancées démocratiques, l’égalité des sexes. Enfin, non, je ne dirais pas qu’on était tous pour l’égalité des sexes ! Ca, c’est venu plus tard ! Mais nous admettions tous que les femmes avaient les mêmes compétences que les hommes. Pour autant, il n’y avait pas d’enseignement de l’anthropologie, il y en avait même encore moins qu’aujourd’hui. Je suis partie en Afrique sans avoir reçu un seul cours d’anthropologie ! J’assistais, parce que c’était mon choix,  au séminaire que Lévi-Strauss donnait à la cinquième section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, et c’était tout ! Il s’agissait d’un enseignement de haute volée sur des points très pointus et qui ont attiré mon attention : comment pouvait-on vivre dans un monde où, par exemple – je pense à un cours sur le rapport entre l’oncle maternel et le neveu utérin –, un homme avait le droit d’aller chez son oncle maternel, de se moquer de lui, de prendre tout ce qu’il voulait chez lui, et même de lutiner sa femme ? C’était quand même étrange ! Lévi-Strauss m’a ouverte à l’anthropologie grâce à ces incursions très ciblées dans des usages extrêmement différents des nôtres. Mais il n’y avait pas d’enseignement sanctionné par un diplôme ; on ne pouvait pas faire une licence d’anthropologie. Il y avait un enseignement au Musée de l’homme, qui faisait qu’on pouvait passer un certificat de licence, ce que j’ai fait, mais qui ne donnait pas une licence d’enseignement.

« Une agrégation d’anthropologie serait nécessaire. »

Que pensez-vous de la création d’une agrégation d’anthropologie ?

Françoise Héritier : Il existe une agrégation de sciences sociales, où sont mêlées un certain nombre de disciplines, mais il n’existe pas d’agrégation d’anthropologie. Cela aurait un intérêt si on décidait d’un enseignement suivi dans les collèges et les lycées. Je ne sais pas si cela est prévu dans la nouvelle mouture des programmes qui sont actuellement concoctés, mais, en tout cas, une agrégation serait nécessaire comme il y en a une pour les autres disciplines : il ne faudrait pas qu’il y ait des souffreteux à côté des nantis ! Le prestige joue un rôle aux yeux des enfants et des parents et il est bien qu’une discipline soit reconnue officiellement, au milieu du concert des disciplines, si on veut que les enfants la pratiquent volontiers et que les parents, surtout, l’acceptent.

Les nouveaux programmes proposent un enseignement du fait religieux. Qu’en pensez-vous ?

Françoise Héritier : On peut aborder ces questions de maintes façons. Gérard Delille, vient de publier un livre, L’Economie de Dieu, dans lequel il montre à quel point les systèmes matrimoniaux hébraïque, chrétien, et musulman – régis par une idée de Dieu – ont, en fait, des conséquences économiques. On peut donc aborder le fait religieux d’un point de vue totalement économique, en montrant les avantages de tel ou tel système, le prêt d’argent avec intérêt par exemple. On peut aussi l’aborder d’un point de vue historique (en quoi le fait religieux a-t-il marqué nos sociétés), ou d’un point de vue philosophique. Et on croit l’aborder suffisamment en prenant ces différents points de vue. Alors qu’en fait, la vraie question n’est pas abordée par ce moyen-là. La vraie question, c’est pourquoi avons-nous besoin de dieux, et pourquoi les sociétés ont-elles élaboré des systèmes religieux ? Je la pousserais davantage encore : non pas le besoin de dieux, mais le besoin du sacré. Nous, humains, avons besoin de reconnaître des choses comme sacrées.

« La vraie question, c’est pourquoi avons-nous besoin de dieux ? »

Comment définir le sacré ?

Françoise Héritier : Le sacré est une notion sur laquelle je n’ai pas travaillé, mais qui, désormais, m’intéresse beaucoup. Je m’efforce de me documenter et de comprendre, parce que je le reconnais en moi-même. Entrer dans un espace sacré, de quelque nature qu’il soit (une église, un temple, une cathédrale, un sous-bois sacré en Afrique), fait qu’on est saisi par quelque chose, parce que ce lieu est considéré comme sacré. Il suffit parfois d’une simple marque sur le sol ou d’une enceinte pour le désigner comme tel : on n’y pénètre pas, ou seulement sur autorisation, justement quand on est en train de se plier aux exigences du sacré. Cet espace possède, comme les forêts silencieuses, une charge qui est ce qu’on appelle « sacré », à laquelle on peut être sensible. Les forêts sacrées, en Afrique, sont de simples bosquets. Nul n’y entre qu’à l’occasion de certains moments, pour des sacrifices. J’ai eu l’occasion d’y pénétrer sur invitation – dans une circonstance où j’étais intervenue pour le sacré sans le vouloir –, et c’est vrai qu’il y avait tout à coup, dans l’ombre et la fraicheur, quelque chose de saisissant. Il faut dire qu’il faisait 40° à l’ombre ! Il m’est arrivé à ce propos une aventure assez cocasse. On était en pleine saison sèche, j’étais dans un village du sud du pays samo qui était en train de se convertir à grande vitesse à l’Islam. Presque tous les hommes s’étaient convertis, il ne restait que les vieux qui « gardaient le couteau », comme on dit, pour faire les sacrifices, et les femmes. Je venais pour je ne sais plus exactement quelle question, mais ça avait à voir avec la pratique religieuse, et je rendais d’une certaine façon hommage au culte animiste, celui d’avant, en l’étudiant. Les femmes m’en étaient reconnaissantes. Et, tenez-vous bien, il s’est mis à pleuvoir ! Elles sont donc venues me remercier en disant : « il pleut parce que nos génies ont vu que tu les écoutais ; ils font savoir qu’ils sont toujours actifs et que ce sont eux qui font venir la pluie ; ça va donner une leçon aux hommes ! » J’avais beau dire que ce n’était pas moi qui faisais venir la pluie, j’avais respecté le sacré, ce qui était sacré pour elles.

« Dieu n’existe pas, tout simplement. »

Quelle est la particularité de l’animisme au sein du concert des croyances ?

Françoise Héritier : Le fait religieux, le fait qu’il existe des religions, est à étudier, mais ce n’est pas ça qui est intéressant, même si pour le moment ça prend le dessus, notamment à cause du fondamentalisme. Fondamentalisme que l’on retrouve partout d’ailleurs : même les bouddhistes ont des fondamentalistes ! Ce qui m’intéresse dans le fait religieux, c’est cette décrépitude du passage de l’animisme aux religions révélées et à la religion d’un seul qu’il faut imposer à tout le monde. L’animisme était quelque chose de très beau. L’animisme, c’est la reconnaissance que la place que nous occupons dans la nature n’est pas laissée au hasard, et qu’elle doit tout à la chaîne de ceux qui nous ont précédés et à la nature qui nous y tolère et qui nous permet d’y prospérer. Il faut donc respecter la nature et respecter les anciens. Je trouve cela magnifique. Il faut faire comprendre la différence entre la religion et ce sentiment du sacré, quelque chose qui est présent dans la nature, qui nous dépasse mais dans lequel nous sommes englobés. Et cela n’a rien à voir avec un deus ex machina qui a fait la création, nous a fait plus beaux ou plus intelligents que le voisin, ou, au contraire, nous a ôté quelques atouts et qu’on appelle Dieu. Dieu n’existe pas, tout simplement.

Comment enseigner cela ?

Françoise Héritier : C’est difficile de commencer un programme en disant que Dieu n’existe pas ! Mais on peut commencer par faire comprendre aux enfants les grands enjeux, comme celui de la différence entre le sacré et la religion, qui, elle, implique un organisme qui se déploie, avec ses prêtres, ses laïcs, ses obligations, ses lois, et qui cherche à obliger et à contraindre. Si on arrivait déjà à faire passer ce message ! Non pas que l’animisme ait fait des sociétés sans contraintes, mais il n’y a pas d’expansionnisme animiste, il n’y a pas de contrainte à prêcher la bonne parole. Il faut simplement être et vivre du mieux possible. On ne gagne pas son salut en faisant cela, mais seulement une meilleure vie sur terre. Je trouve cela déjà tellement énorme !

Que pensez-vous, par ailleurs de l’imposition faite aux professeurs d’enseigner la morale laïque ?

Françoise Héritier : La morale laïque ? A dire vrai, je ne la vois pas très différente des grands commandements de l’Eglise chrétienne. Mais apprendre à savoir vivre ensemble, voilà qui est absolument nécessaire. Dans le savoir-vivre minimum, il y a : respecter ses parents, de ne pas prendre à son voisin, de ne pas tuer, de ne pas faire du mal aux autres. Ces règles sont  valables quels que soient les lieux ; ce savoir-vivre – j’entends, vivre en bonne entente avec les autres – implique aussi ce que nous appelons communément le savoir-vivre, qui est le fait de savoir se comporter à table, comment répondre, tenir la porte à quelqu’un. Cela, ce sont les bonnes manières ; ça en fait partie, mais c’est en plus. Le savoir-vivre, il faudrait l’entendre au sens propre : savoir comment effectivement vivre avec les autres, ce qui implique de les écouter et pas seulement s’écouter soi-même.

« La morale laïque ? (…) pas très différente des grands commandements de l’Eglise chrétienne. »

Comment apprendre aux enfants à écouter les autres ?

Françoise Héritier : D’abord, je commencerais peut-être par quelque chose d’assez brutal. S’il y a des enfants qui ne veulent pas écouter les autres, il faudrait, dès qu’ils prennent la parole, faire de l’oblitération, afin qu’ils se rendent compte à quel point il est déplaisant de ne pas être écouté. Il y a eu aussi, aux Etats-Unis, une expérimentation que j’avais trouvée intéressante. Elle consistait à diviser une classe pour en temps entre bleus et rouges. Ceux qui sont rouges sont tout puissants pendant un temps : ils peuvent se moquer des bleus, ce sont eux qu’on félicite, à qui l’on donne la parole. Ils s’en donnent à cœur joie ! La première semaine, ceux qui sont de l’autre côté s’en prennent vraiment plein la figure ! Et puis, au bout de huit jours, on change : les bleus deviennent les préférés et les rouges deviennent les honnis ; et au bout de huit jours on change à nouveau. Il ne faut pas très longtemps pour que les enfants apprennent à se parler mutuellement, à comprendre que tout est dans le rôle qu’on vous assigne, et que si on veut une bonne place, il faut admettre que les autres puissent l’avoir aussi. Il est peut-être un peu difficile de faire cela de façon systématique dans les écoles primaires, mais il n’empêche : on peut s’inspirer de formules de ce genre, peut-être moins drastiquement. La chose importante, c’est de faire comprendre que les autres ont la même valeur aux yeux des tiers. Parce que chaque enfant expérimente ce que nous croyons tous : que le monde n’existe que pour lui.

Quel contenu raconter ? Des mythes ?

Françoise Héritier : Un mythe, c’est une histoire qui aide, par sa composition et sa structure, à comprendre le fonctionnement du monde dans lequel on vit. La plupart du temps, ceux qui sont dépositaires des mythes n’en connaissent pas la fonction. Pour Lévi-Strauss, le mythe existe en soi et pour soi et son simple fait d’être suffit pour donner sa cohérence au monde. J’ai tendance à penser que c’est encore mieux si les gens ont connaissance du bienfait qu’ils en tirent, mais je ne sais pas ! Une histoire mythique est d’abord une histoire, comme celles qu’on lit aux enfants, avec des  personnages récurrents, qui jouent un rôle récurrent et qui aide à comprendre comment les choses se passent, pourquoi le renard est-il facétieux et voleur, par exemple. Je ne dirais pas que chez nous, les fables de La Fontaine sont des mythes, mais ils rendent compte d’un certain type de rapports de force, entre le corbeau et le renard par exemple. Des grands mythes d’origine, il y en a un peu partout, au Proche-Orient bien entendu, et tous les mythes amérindiens sont fabuleux. L’Afrique n’est pas très riche en mythes, ou tout au moins ce sont des mythes qui ont une valeur moins globale, moins générale, ce sont des mythes qui ont des rapport avec des familles, avec des tribus, ou alors avec des institutions.

 « La plupart du temps, ceux qui sont dépositaires des mythes n’en connaissent pas la fonction. »

Quel exemple ?

Françoise Héritier : Par exemple, il y a un mythe en Afrique de l’Ouest, dont on trouve aussi des traces dans d’autres régions d’Afrique, toujours un peu sous la même forme. Il explique la domination masculine. Au départ, une divinité a créé le monde, les hommes et les femmes. Ce sont des groupes séparés : les hommes vivent ensemble ; les femmes vivent ensemble ; ils se reproduisent directement par eux-mêmes : les femmes font des filles et les hommes font, par leur corps, des garçons. Ils chassent, ils pêchent, ils cultivent. Le mythe se passe hors temps, au temps de la préhistoire, au temps des chasseurs-cueilleurs. Un jour, sur leur terrain de chasse, le groupe des hommes rencontre le groupe des femmes. A ce moment-là, mus par on ne sait trop quel réflexe, ils découvrent la façon de se servir de leurs corps. Alors Dieu, très fâché quand il s’en aperçoit, leur dit : si c’était cela que j’avais voulu pour vous, je vous l’aurais dit, je vous aurais fait vous rencontrer plus tôt ; non ! Vous devez vivre comme par le passé. Mais les hommes y ont pris goût (les femmes aussi vraisemblablement, même si le mythe n’en parle pas), et ils continuent. Dieu se fâche encore plus et décide d’intervenir. Il sépare les deux groupes par un tapis de feuilles sèches, pour les empêcher de se rejoindre : en passant sur les feuilles, ils le réveilleraient. Les hommes montrent alors toute leur mauvaise foi en allant quand même voir le groupe des femmes, la nuit, en emportant des grandes calebasses d’eau pour mouiller les feuilles mortes et ne pas faire de bruit. Mais comme la divinité voit tout, elle s’en aperçoit ; elle se fâche tout rouge et dit : désormais, puisque vous le voulez, vous allez vivre ensemble (c’est donc un mythe d’origine de la famille) avec tous les inconvénients que vous allez vite découvrir ; et comme les hommes ont été les plus coupables d’infraction à mon égard, je leur enlève le privilège de faire leurs fils, et je le donne aux femmes. Donc ce mythe d’origine de la famille est aussi le mythe de tout ce que j’appelle la valence différentielle des sexes, parce qu’il permet aux hommes de dire, par un retournement : on nous donne un vase pour faire nos fils, et ainsi nous n’avons pas à souffrir des inconvénients physiques de la grossesse et du travail qui va avec, mais tout cela implique que nous ayons des femmes à nous. D’où l’appropriation des femmes par les hommes et toute une série de choses qui s’en suivent.

Le mythe postule un monde d’avant l’origine de l’institution qu’il dévoile, et ce monde d’origine d’avant est un monde qui fonctionnait de façon différente et très bien. Il faut donc montrer aux enfants que l’espèce humaine a tout pensé dans sa tête. Ce n’est pas la nature des choses qui fait que les hommes sont supérieurs aux femmes : tout a été pensé, comme étant ce qui convenait le mieux. Ce qui est pensé dans la tête n’est pas naturel, n’est pas inné et peut donc être changé. Toutes les actions que nous menons visent à faire changer des ordres que les gens présentent comme naturels et qui sont des ordres inégalitaires, qui tiennent aux représentations d’il y a 200 ou 300 000 ans, qui nous ont été transmises, représentations mentales faite en un temps où la connaissance n’était pas celle qu’elle est maintenant. Evidemment, on ne savait pas qu’il fallait des spermatozoïdes et des ovules pour faire un enfant, chose que l’on ne sait que depuis la fin du XVIIIème siècle !

« Universalité et relativité des cultures ne sont pas ennemies. »

Comment se transmettent les cultures ?

Françoise Héritier : Tout passe par la famille et l’école, tout du moins par le système – ça peut être la rue, ça peut être la brousse – par lequel passe l’éducation des enfants. Un petit enfant africain possède très vite la culture de son groupe, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais ce qu’il faut faire comprendre, et c’est difficile car on est pris dans un combat entre les universalistes et les relativistes, c’est qu’en fait, universalité et relativité des cultures ne sont pas ennemies. Chacune des figures particulières des cultures représente une association de variables, et c’est ce jeu d’associations des variables qui est l’universel, et non telle ou telle culture qui en résulte. Mais comme on a la vue courte, on voit simplement la culture qui nous est proposée, et on la présente comme la seule, l’unique, sage, normale, naturelle, correspondant à tous nos besoins. Ce n’est pas vrai ; les autres le sont tout autant ; elles correspondent à un autre maniement des variables. Ainsi vous ne trouverez pas de culture où on apprend aux enfants à ne pas respecter leurs parents. Cela relève d’un universel de l’esprit. C’est un universel qui m’apparaît maintenant comme un des rares universels – ou pensées invariantes – qui ait quelque chose à voir avec notre nature humaine. Le premier, c’est la prohibition de l’inceste, qui est celui dont a parlé Lévi-Strauss, et le deuxième c’est le respect de la hiérarchie, qui fait que ça nous est si facile de nous refugier sous un ordre et sous un commandement. Ca tient au fait essentiel que l’espèce humaine est assez particulière dans le monde des mammifères, puisque c’est celle où il faut beaucoup d’années pour qu’un enfant devienne autonome, puisse se suffire à lui-même. Pendant tout ce temps, il est à la fois dépendant (et doit être obéissant) et fragile (il doit être protégé). La majorité d’entre nous (car il peut y avoir des parents défaillants) a connu cette expérience non questionnable de la hiérarchie, c’est-à-dire de la dépendance absolue du tout petit qu’on manipule, qu’on tourne, retourne, nourri et qui, en même temps, doit obéir, respecter, etc. : cela nous forge pour la vie entière.

« La variété des cultures est nécessaire pour pouvoir découvrir l’universel. »

Une telle position correspond à ce que vous nommez un comparatisme sans relativisme ?

Françoise Héritier : Oui. La variété des cultures est nécessaire pour pouvoir découvrir l’universel, mais il ne faut jamais considérer qu’une culture est un en soi qui serait valide pour l’humanité tout entière. C’est le défaut des fondamentalismes de tous ordres : c’est cela qu’ils prônent.

 

Comment faire comprendre cette idée aux enfants ?

Françoise Héritier : Le simple fait de savoir l’usage des autres et de s’y initier transforme tout. Il y a quelques années de cela, j’ai donné des cours à Grenoble à des élèves de cours préparatoire et cours moyen. Je venais pour leur faire un cours d’anthropologie d’ouverture à l’autre, mais je leur faisais un cours très pratique. Je disais : tout ce qui est nécessaire à la vie peut posséder des usages différents. On faisait alors des cours expérimentaux. Par exemple, pour manger : on mange avec une fourchette, un couteau, une cuillère chez nous ; on mange avec ses doigts en Afrique. Eh bien, comment fait-on pour manger avec ses doigts ? On faisait de la bouillie, avec une sauce, et puis je leur montrais comme faire. On invitait les petits Africains à montrer leur compétence s’ils savaient le faire. Cela les rendait fiers de montrer, et les autres ne demandaient qu’à faire la même chose, ils essayaient, et on riait beaucoup. Comment s’assied-on ? Comment une femme s’assied-elle en Afrique ? Le dos bien droit contre un mur et les jambes droit devant elle : pas si facile que ça ! Comment se tient un berger peul ? Sur une jambe, la plante du pied opposé contre le genou, et le bâton en travers des épaules : pas si facile ! Tout le monde essayait. Il y avait des choses qu’on ne pouvait pas faire : ainsi les maisons. Mais on les dessinait, et j’ai eu un public enthousiaste. Au début ils n’osaient pas lever le doigt mais à la fin, ils voulaient tous participer aux expériences.

On peut, si on veut trouver des moyens qui attirent l’attention des enfants, leur faire comprendre que les usages des autres sont les mêmes que les nôtres. Nous avons chacun nos manières ; elles sont aussi bonnes les unes que les autres, puisque nous pouvons tous les faire. Puisque nous sommes capables de les faire, c’est qu’elles sont propres au genre humain, c’est tout. Evidement, on ne va pas faire une maison en glace à Paris sous le soleil, ou en Afrique, mais l’igloo sera chez les Esquimaux. Il y a des variantes qui sont imposées par le milieu, mais c’est justement le plaisir de découvrir ce qui vient de l’imagination humaine sans limite. Et les représentations aussi sont sans limite : c’est cela qui donne de l’intérêt à la vie. S’il n’y a avait pas d’innovation, de découverte, de temps en temps quelqu’un qui dit « Eurêka ! J’ai compris ! », la vie serait vraiment d’une fadeur extrême !

« Considérer qu’une culture est un en soi qui serait valide pour l’humanité tout entière, c’est le défaut des fondamentalismes. »

Peut-on assigner à l’art cette même fonction de découverte ?

Françoise Héritier : On peut assigner cette fonction de découverte à l’art et à la culture, ne serait-ce que parce qu’ils peuvent susciter des interrogations. Je vois souvent des photographies prises dans des musées où on voit quelqu’un, un peu perplexe, qui regarde une œuvre d’art contemporain. J’avoue que moi aussi, souvent, je suis un peu perplexe. Mais cette perplexité est déjà un acte de tolérance, un acte d’ouverture : il y a là quelque chose que je ne comprends pas, mais que je pourrais comprendre. Je pense que l’art est un marqueur qui nous sollicite, même si nous ne nous en doutons pas. J’avais été frappée par le film d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, Le Goût des autres. Jean-Pierre Bacri y joue un chef d’entreprise dont l’épouse raffole des petits napperons en dentelles, des coussins bariolés, des petits chats en peluche : elle en a plein son intérieur. Lui, sorti du rang, totalement inculte, est obligé d’apprendre l’anglais ; il fait venir une prof d’anglais qui, par hasard, lui fait découvrir le théâtre. Il est saisi par la beauté de la chose et il pleure. Après, elle lui fait découvrir la peinture, l’art, au point qu’il fait commander un travail d’art moderne à un artiste pour le placer au-dessus de la porte de son usine. Sa femme pousse des hauts cris : il comprend qu’il ne supporte plus les petites bondieuseries dont elle raffole et il fait le ménage dans tout ça. Cette révolution passe par l’émotion, non par l’entendement ou la raison.

Faire de l’anthropologie c’est donc avoir le goût des autres ?

Françoise Héritier : Nécessairement. C’est moins le goût des autres (encore que ça implique une bonne entente avec ces autres et donc du goût pour eux), que la curiosité pour eux et leur vie. Mais ce goût des autres n’est pas nécessairement un goût exotique. Je me rends compte que j’ai le goût des autres ici aussi, dans ma propre culture ; les autres m’intéressent, leur vie m’intéresse. En faire un objet d’études, c’est faire de l’anthropologie, qui passe par un premier degré qui est celui de l’ethnologie. L’ethnologie consiste à aller vivre comme les autres, chez eux, pour comprendre leur fonctionnement mental et le fonctionnement de leur culture. On fait ça dans une culture donnée, et l’anthropologie consiste à s’emparer de problèmes généraux afin de voir comment ils sont traités dans différentes cultures du monde, quelles sont les solutions qui ont été apportées, et si on peut découvrir des invariants dans le fonctionnement de ces solutions.

Que nous apprennent les autres quand on est ethnologue ?

Françoise Héritier : Ils ne nous apprennent rien. C’est le fait d’être plongés parmi eux qui importe. Ils n’ont pas envie de nous apprendre quelque chose. Il faut simplement vivre avec eux, leur parler, obtenir des réponses à nos questions. Observer nous amène à penser comme eux, ce qui n’est pas facile, même si on peut y parvenir au moins partiellement. Je m’en suis rendue compte au moins une fois sur le terrain. Une jeune femme était morte en couches et on l’enterrait. Lors d’une cérémonie où les coépouses de la défunte devaient danser autour de son corps, posé par terre, en ouvrant leur pagne et en dansant tout autour d’elle. Elles étaient quatre ou cinq coépouses, dont une femme âgée, la première épouse. La dernière avait été prise en mariage assez récemment ; c’était une très jeune femme et le bruit courait qu’elle était morte par sorcellerie et que c’était la faute de la femme âgée. Je voyais cette femme qui se doutait bien des soupçons qui pesaient sur elle et qui faisait tout ce qu’elle pouvait pour exprimer son désespoir, en en faisant même un peu plus que les autres. L’espace d’un instant, je l’ai vue comme une sorcière, comme capable d’un acte de sorcellerie : cette capacité à penser comme eux, à avoir assimilé tous les ingrédients et tous les mécanismes n’est pas facile ; on peut plus ou moins y parvenir. Il y a peut-être des anthropologues qui vous diraient que ce n’est pas le nec plus ultra et qu’on peut très bien comprendre une société sans y participer. Mais je doute que vous puissiez bien comprendre une société que vous n’aimeriez pas, donc ça implique un minimum d’empathie.

« Je doute que vous puissiez bien comprendre une société que vous n’aimeriez pas. »

L’enseignement artistique participe-t-il de cette ouverture aux autres ?

Françoise Héritier : Permettre à des adolescents ou à des enfants timides, introvertis de s’exprimer change leur rapport à la scolarité : ils s’affirment, osent poser des questions, osent exister. Tout ce qui permet cette ouverture – la danse, l’improvisation orale, le théâtre –, devrait être utilisé, à la fois comme fin en soi (parce qu’il y a peut-être des vocations), et également comme moyen. Le problème, c’est de trouver la bonne combinaison qui permet de faire tout cela. De même faire un journal : j’ai vu des enfants des écoles acquérir ainsi des  responsabilités et apprendre à faire une œuvre collective. Toutes ces recettes ont déjà été trouvées, utilisées, le problème a toujours été de passer à la vitesse supérieure.

Comment lutter contre la résistance à mettre en place ces recettes pourtant connues ?

Françoise Héritier : Par une entente positive ente parents et enfants. Les parents ont tellement peur que les enfants n’aient pas une bonne vie qu’ils veulent absolument qu’ils décrochent des diplômes, et des diplômes sérieux : un diplôme de mathématiques, de physique ou de chimie, c’est mieux qu’un diplôme de théâtre ! De la même manière, les pouvoirs publics qui ont besoin de travailleurs, même s’ils prétendent le contraire, n’ont pas tellement besoin de « clowns », comme ils disent… Mais puisque le travail va se réduire comme peau de chagrin, quand nous aurons des robots qui feront tout à notre place, il faudra bien trouver une solution pour que les gens puissent vivre avec un minimum qui sera versé de la même manière à tout le monde ; ceux qui voudront travailler travailleront en plus pour être plus riches. Les autres, non : ils pourront à ce moment-là s’épanouir dans les arts, avec une rémunération universelle. On y pense très sérieusement. Le premier à y avoir pensé était un ingénieur géographe, qui s’appelait Jean Hurault. Il travaillait en Guyane, et il était misanthrope comme il n’est pas possible ! Sa réflexion ne partait pas du fond du cœur et n’était pas une révolution économique pour l’avenir : c’était une manière de régler un problème. Il trouvait que les Guyanais constituaient un problème pour la République et proposait de construire d’immenses hôtels : pendant six mois une moitié de la population serait à l’hôtel, servie par l’autre moitié, et au bout de six mois, on inverserait, le tout aux frais de la République. Ca coûterait  moins cher à l’Etat et tout le monde serait content !

« Les pouvoirs publics qui ont besoin de travailleurs, n’ont pas tellement besoin de « clowns », comme ils disent… »

Le loisir finira-t-il par l’emporter sur le travail ?

Françoise Héritier : Nous allons vers une société où les loisirs seront davantage pris en compte. C’est là qu’il faudrait changer un peu de regard, parce que, pour le moment, on n’existe que si on travaille. Nous sommes tellement conditionnés que ceux qui n’ont pas de travail se sentent majoritairement très coupables. Ne pas avoir de travail, c’est la paresse ou les loisirs. Mais l’art n’est pas la paresse ni les loisirs ; l’art c’est une autre manière de concevoir le temps, disons de l’emplir, de concevoir le temps qu’on passe sur terre. Le message qu’on croit chrétien affirme que nous sommes sur terre pour souffrir. Voilà ce qu’on nous dit : la souffrance, la maladie, de toute façon ça finit mal, et la plupart de nos expériences seront catastrophiques, difficiles et douloureuses. Avec la promotion de l’art, on dit quelque chose d’un peu autre. Le temps où vous écrivez un roman est peut-être difficile, mais vous y prenez du plaisir. Le temps où je lis un roman, j’y prend un plaisir extrême. Il faudrait appeler cela société du plaisir plutôt que du loisir. Le temps de l’art n’est pas un temps vide, c’est au contraire un temps plein, empli par des choses qui donnent du sens à la vie et donnent de la fierté, donnent de la joie. Le travail aussi donne de la fierté et de la joie quand il n’est pas trop répétitif ni encombrant ; mais il n’est pas le seul à le pouvoir. Quand on parle d’une société de loisirs, on a l’air de penser que seul le travail donne du sens à la vie. J’ai essayé de montrer, dans un tout petit livre, Le Sel de la vie, qu’on trouvait le sel de la vie dans des tas de choses absolument minimes, et qui n’ont pas grand chose à voir avec le travail, même si, bien sûr, le travail en fait partie.

« L’art c’est une autre manière de concevoir le temps. »

Etes-vous une spectatrice de théâtre ?

Françoise Héritier : J’aime beaucoup le théâtre. Je n’y vais plus car souvent les théâtres ne sont pas faciles d’accès. Le théâtre ou l’opéra, c’est des souvenirs intenses. Je parlais tout à l’heure du sacré. Ce n’est pas le même sens, mais quand vous êtes dans une salle qui bruisse, un peu avant les trois coups, il y a quelque chose d’absolument intense qui se passe et qui convoque l’idée de sacré. Le bruissement d’une salle qui parle avant l’entrée en scène est un bruit reconnaissable entre tous. J’ai retrouvé subitement un jour ce sentiment, qui n’était pas celui du sacré, mais où je reconnais quelque chose de totalement dérangeant, parce que ce n’était pas à sa place et pourtant m’emplissait de joie. J’étais dans un taxi et le conducteur parlait au téléphone. Il avait mis le haut-parleur, c’était un Africain, et on lui répondait dans une langue africaine que naturellement je ne connaissais pas. Mais les réponses étaient rythmées par un bruit sourd et des chants de volaille. J’entendais un pilon qui pilait le mil et derrière des cocoricos, des gloussements de poules. Tout d’un coup, j’ai réalisé : il téléphonait à sa femme, en Côte d’Ivoire et elle lui répondait avec le téléphone coincé sous l’oreille (c’est le modernisme !), tout en pilant son mil au milieu de sa cour, avec sa volaille. Tous ces bruits africains me revenaient et ils étaient totalement indus. Ils n’étaient pas à leur place, mais ils m’apportaient un sentiment d’extase !

« Avons-nous renoncé à un monde meilleur ? », demande Olivier Py, dans l’éditorial de l’édition 2015 du festival. Qu’en pensez-vous ?

Françoise Héritier : Nous n’avons certainement pas renoncé au monde moderne, puisque, apparemment, nous en redemandons ! Toutes les innovations sont accueillies avec un enthousiasme débordant. Je n’ai pas beaucoup d’enthousiasme, je dois dire, pour l’humanité améliorée, mais il y a une grosse demande. Tant qu’il y aura des esprits pour rêver pour innover, pour inventer, il y aura des gens pour appliquer et de gens pour réclamer. Mais est-ce que c’est un monde meilleur ? Ca, c’est une autre histoire. C’est un monde où nous avons apparemment de plus en plus d’avantages de tous ordres, sans nous rendre compte qu’à chaque fois que nous obtenons un avantage, un gain de temps par exemple, on détruit en même temps du travail, des emplois, des modes de vie, et qu’on n’est pas vraiment capable de voir se dessiner le monde nouveau. C’est une antienne : on sait très bien qu’il y a peu de philosophes, sociologues ou autres qui ont vu juste quand ils ont imaginé le monde dans dix, vingt ou cinquante ans. Je ne me livre donc pas à ce genre d’exercice, tant il est vrai que, généralement, on se trompe grossièrement, parce que l’invention est partie dans un autre sens.

« Je pense qu’au long cours, Malthus aura raison contre Marx. »

Quelles seraient les conditions d’un monde meilleur ?

Françoise Héritier : Les conditions d’un monde meilleur impliquent bon nombre de choses, et certaines qui ne sont pas toujours très bien vues. Je pense qu’au long cours, Malthus aura raison contre Marx, et que si nous continuons cette course effrénée à la surpopulation, arrivera assez rapidement un moment où les guerres pour l’eau, pour la terre, pour la nourriture en général, et même pour l’air vont devenir la norme. Le premier pas serait de mettre un frein à cette surpopulation galopante, ce qui n’est pas facile. Cela nous permettrait peut-être de ne pas considérer l’autre comme un nuisible, parce que c’est ça le fond de la question : si je n’ai pas assez d’eau, c’est que c’est toi en amont que me la prends ; si je n’ai pas de travail c’est que c’est toi qui est venu d’ailleurs qui me le prends. Il va donc quand même falloir s’attaquer à ce genre de problème un jour. Tout ce que je dis là implique l’humanité toute entière : on n’en est plus au point ou chacun règle dans son coin son petit problème.

Comment réduire la natalité ?

Françoise Héritier : Il y a des pays qui ont réduit leur natalité, certains même trop, comme le Japon ou l’Italie, mais il y a d’autres pays où la natalité est encore flambante, parce qu’il n’y a pas de protection sociale. Les enfants constituent la protection sociale de leurs parents : vous avez des pays comme l’Ethiopie, le Niger ou d’autres où il est normal qu’une femme ait huit enfants. Comme la progression est géométrique et non arithmétique, car on a aussi augmenté l’espérance de vie, cela entraîne un surcroît de population absolument énorme. On sait qu’en 2050, l’Afrique sera le continent le plus peuplé ; il sera passé à trois ou quatre milliards d’individus. Il faut qu’il y ait une régulation internationale, difficile à mettre en place parce qu’elle implique un développement économique et des prestations sociales qui permettraient aux adultes de savoir que dans leur vieil âge, ils auront de l’argent, qu’il ne seront pas obligés d’être entretenus par une fille ou un fils. A ce moment-là, la fécondité diminuerait, mais la chose est très difficile à mettre en place, elle ne peut pas être imposée de l’extérieur mais doit être collectivement pensée.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

 

A propos de l'événement

du samedi 6 juin 2015 au samedi 6 juin 2015
Théâtre de la Commune
2 Rue Edouard Poisson, 93300 Aubervilliers, France

L’ANTHROPOLOGIE POUR TOUS

Samedi 6 juin 2015, de 9h30 à 18h. Entrée libre et gratuite. Tél. : 01 48 33 16 16. http://projet-theleme.wix.com/lanthropopourtous

lire aussi :

http://www.journal-laterrasse.fr/lanthropologie-pour-tous/

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