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Grand artisan des écritures contemporaines, François Rancillac met en scène Le mardi où Morty est mort*, du jeune auteur suédois Rasmus Lindberg. « Un maelstrom de folie pas douce et d’humour fort noir » interprété par les cinq comédiens associés au Centre dramatique national de Montluçon.
Pouvez-vous nous présenter Rasmus Lindberg ?
François Rancillac : Rasmus Lindberg est né en 1980 à Luleå, à 900 km au nord de Stockholm, pas très loin du cercle polaire. Après des études de mise en scène dans la capitale, il a décidé de revenir au pays pour y vivre, y écrire et y monter ses spectacles. Ce sentiment d’habiter au bout du monde, loin du « centre », traverse profondément ses personnages – des êtres perdus au milieu d’eux-mêmes qui se persuadent que la géographie est la première responsable de leur malheur existentiel. Lindberg écrit à partir de ce « décentrage ». Il invente un théâtre assez décalé par rapport à la « norme culturelle », n’hésitant pas à aller chercher une autre énergie du côté des arts dits mineurs (comme la BD et le dessin animé) pour raconter nos désarrois contemporains.
Des désarrois qui s’expriment à travers une appréhension de la temporalité extrêmement mouvante…
Fr. R. : Le temps, si déboussolé, si compressé dans notre monde internautique, devient chez Lindberg une véritable matière à fiction. Dans Le mardi où Morty est mort, passé, présent et futurs possibles s’interpénètrent en permanence, fonctionnant comme dans un cerveau en roue libre où tout repère chronologique stable a disparu. Le temps se réorganise donc de manière totalement libre : au gré des récits, des flash-backs, des associations d’idées voire des sautes d’humeur…
« Rasmus Lindberg invente un théâtre assez décalé par rapport à la “norme culturelle”… »
De même, les espaces s’entrecroisent et les dialogues sont sans cesse entrelardés de pensées intérieures. Comme si, chez lui, le dérèglement du monde contemporain devenait matière à jeu, en poussant au bord de la crise de nerfs ses personnages dans un univers au bord de l’implosion.
Et c’est ce qui arrive, un certain mardi… ?
Fr. R. : Oui, le chien Morty, échappant à son maître, va provoquer à son corps défendant, une série de catastrophes qui vont enfin remettre en branle des personnages englués jusqu’à la gorge dans leur médiocrité, leurs renoncements ou leur découragement. Et alors la vie reprend les rênes et les fait valdinguer cul par-dessus tête hors de leurs ornières. Et alors explosent les cœurs rétrécis, les désirs refoulés, les âmes compressées. Alors le temps perd les pédales, les situations s’emboîtent comme des poupées gigognes, l’espace sort de ses gonds et les personnages s’entrechoquent comme les marionnettes d’un Guignol affolé. Le côté clownesque de cette écriture (quand les clowns sont désespérément drôles ou drôlement désespérés) a été pour moi une invitation à aller chercher là où j’ai peu l’habitude de travailler en tant que metteur en scène. Une incitation à diriger autrement les acteurs, les poussant à un jeu exaspéré voire farcesque en même tant que millimétré.
* Traduction de Marianne Ségol-Samoy et Karine Serres, texte publié par les Editions Espaces 34.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h. Tél. : 01 43 74 99 61. www.theatredelaquarium.com
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