LA MUSIQUE EN AUTODIDACTE
PORTRAIT DE VINCENT BOUCHOT, CHANTEUR ET COMPOSITEUR, DONT L’ŒUVRE, ELLE EST PAS BELLE LA VIE ?, EST CREEE EN JANVIER A LA PENICHE OPERA.
Les photos des musiciens classiques se suivent et se ressemblent. A chaque fois les mêmes poses figées, académiques
Jusqu’à ce que l’on reçoive le portrait de Vincent Bouchot réalisé par son amie Nathalie Duong. Ce cliché facétieux serait-il représentatif de l’artiste ? L’heure et demie passée avec lui dans un café de la place du Châtelet nous confirme en tout cas une chose : Vincent Bouchot occupe une place à part dans le milieu musical. Son parcours est déjà pour le moins atypique. « Hormis les cours obligatoires au collège, je n’ai jamais étudié la musique, nous déclare ce natif de Toulouse, du haut de son 1 mètre 93. Je me destinais à l’enseignement des lettres. J’ai suivi les classes préparatoires avant d’intégrer Normale Sup. Ma seule activité musicale était alors de chanter dans des chorales amateurs. » C’est pendant ses études à l’ENS que Vincent Bouchot assiste à un concert, qui s’avérera décisif, de la Chapelle Royale dirigé par Philippe Herreweghe. Fasciné par cette performance, « le son, la justesse, je n’avais jamais entendu cela », se souvient-il, le jeune étudiant passe en 1987 une audition pour intégrer cet ensemble. Herreweghe flash sur sa voix, décèle un potentiel, et, malgré son absence de formation vocale, le recrute comme membre permanent de la Chapelle royale (au même moment, un certain Hervé Niquet intégrera également la Chapelle
). Une fois finies les études à Normale Sup, Vincent Bouchot se lance dans la carrière de chanteur. « Avec Philippe Herreweghe, j’ai travaillé le grand répertoire germanique, Mendelssohn, Brahms et Bach bien sûr ! J’ai des souvenirs à jamais gravés des Passions données au Festival de Saintes ». Quand on lui demande dans quelle tessiture de voix il avait été sélectionné, la réponse est là aussi inattendue : « j’ai passé l’audition comme baryton mais à la première répétition, je me suis placé chez les ténors.
Herreweghe m’utilisait alternativement dans l’une ou l’autre tessiture, parfois même au cours de la même œuvre il me faisait un signe pour que je change de voix ! J’ai toujours eu une tessiture entre le ténor et le baryton ». Après cinq années passées à la Chapelle royale, Vincent Bouchot change d’ensemble et de répertoire. Il intègre pendant une courte période le Groupe vocal de France, spécialisé dans la musique contemporaine. Et en 1994 commence son aventure avec l’Ensemble Clément Janequin : « C’est l’histoire de ma vie. J’ai découvert avec eux la musique de la Renaissance. Autour de Dominique Visse s’est créée une sorte de famille un peu bizarre ! »
Sens de la théâtralité
Vincent Bouchot aurait pu se contenter de mener une vie de chanteur, enchaînant les tournées, les enregistrements, mais c’était faire fi de son autre vocation : la composition. « Depuis mon adolescence, j’ai toujours écrit. Comme dans le chant, je n’ai pris aucun cours. J’ai beaucoup composé pour la voix mais j’ai peu à peu progressé dans ma connaissance des instruments. J’en suis à environ 200 œuvres ! » Définir l’esthétique d’un compositeur relève toujours de la gageure. Chez Vincent Bouchot, grand amoureux du mouvement surréaliste, Queneau et Perec en tête, on se permettra juste de remarquer un sens de la théâtralité associé à un esprit souvent caustique. Le compositeur ne s’interdit rien : « je peux écrire de la musique consonante puis des passages en micro-tonalité. Je m’intéresse plus à l’idée conceptuelle qu’au langage. » L’une de ses formes de prédilection est à coup sûr l’opéra, avec, pour chaque ouvrage, des choix surprenants de livrets. Son premier, écrit en 1991, était basé sur un fait divers tragique (le suicide d’un couple adultère), le second sur les derniers jours d’Emmanuel Kant.
A la Péniche Opéra est présenté ce mois-ci en création, au côté de Rita, court opéra comique de Donizetti, son dernier opéra, intitulé Elle est pas belle la vie ? « Il y a cinq ans, j’avais déjà écrit un opéra pour la Péniche d’après les Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio. Entre temps, de nouvelles brèves sont sorties, consacrant l’arrivée d’un nouvel objet dans les cafés : la télévision, incarnée dans l’opéra par une voix de soprano colorature. Quant aux thèmes, ils sont très actuels, de Fukushima au printemps arabe, sans oublier bien sûr la figure de Sarkozy ». Faut-il voir dans cet ouvrage un signe d’engagement politique à quelques mois de l’élection présidentielle ? « Je pense d’abord à la qualité artistique. Mais on comprendra en entendant cet opéra que je n’ai pas beaucoup de sympathie pour le pouvoir en place ! » Avant de quitter Vincent Bouchot, qui s’apprête à se lancer dans la composition de son prochain opéra sur un texte de Karel Capek, on ne peut s’empêcher de lui demander s’il n’a pas de regrets de ne pas avoir poursuivi sa route dans la prestigieuse voie académique. « Les lettres n’étaient pas ma vocation à tout prix. Mais par contre la transmission me manque. J’aimerais d’ailleurs maintenant enseigner ce que je sais de la musique, mais, comme d’habitude, je n’ai aucun diplôme ! »
Rita ou le mari battu, de Donizetti et
Elle est pas belle la vie ? de Vincent Bouchot,
du 10 au 14, du 16 au 18, du 21 au 25 janvier
et le 5 février à 20h30.