Sylvain Maurice adapte et met en scène six nouvelles parmi les plus fameuses de l’auteur américain Raymond Carver (1938-1988). Six histoires singulières ciselées au cordeau, éclairant des couples en crise face aux accidents de la vie.
« La mise en scène se déploie comme un jeu cubiste ponctué de relais et résonances. »
« Je me souviens avoir assisté à une mise en scène de nouvelles de Carver par Christian Peythieu à L’Atalante dans les années 1990. J’avais alors été frappé par la qualité et l’oralité de l’écriture. Dialoguiste hors pair, Raymond Carver déploie un art de l’ellipse absolument remarquable, où ce qui se joue entre les mots recèle une force impressionnante. C’est pour cette raison, mais aussi pour l’humanité et la lucidité affûtée de ses portraits qu’il a souvent été comparé à Tchekhov. Comme souvent dans les nouvelles anglo-saxonnes, un mystère plane jusqu’à une forme d’élucidation parfois particulièrement lapidaire et saisissante, qui peut ressembler à une épiphanie. J’ai choisi six nouvelles parmi les plus connues : Cathédrale, Parlez-moi d’amour, Voisins de palier, L’Aspiration, Vous êtes docteur ? et Une petite douceur. Chacune d’entre elles éclaire une situation de couple en crise, de manière singulière et très contrastée, entre réalisme et étrangeté, désespoir et parfois traits d’humour. A cette grande diversité d’atmosphères et d’histoires – de celle de jeunes cadres supérieurs qui perdent un enfant à celle d’un étonnant visiteur venu passer l’aspirateur chez un homme au chômage – répond une grande diversité dans la mise en scène même, qui se déploie comme un jeu cubiste ponctué de relais et résonances.
Un art de l’ellipse impressionnant
De la narration à la mise en situation, d’un personnage à l’autre, le théâtre se fabrique à vue. La pièce rappelle aussi le chef-d’œuvre cinématographique de Robert Altman Short Cuts (1993), une charge au vitriol contre l’esprit petit-bourgeois américain, contre The American way of life. Mais à l’inverse du cynisme exprimé par le metteur en scène, je choisis, comme l’auteur, d’être empathique envers les personnages en préférant une approche universelle, où il reste possible de guérir du malheur. Ce que je retiens ici de la culture américaine, et qui a influé sur la représentation, c’est ce rituel issu du protestantisme qui consiste à faire acte de contrition en public. Confesser publiquement ses péchés se révèle éminemment théâtral, car cela tend un miroir au public en laissant apparaître ses fantasmes et ses névroses. C’est captivant, et ça l’est d’autant plus qu’ici plusieurs nouvelles donnent prise à des lectures allégoriques sous-jacentes. Carver est un auteur génial ! La distribution est resserrée autour de quatre formidables comédiennes et comédiens : Anne Cantineau, Rodolphe Congé, Jocelyne Desverchère et Pierre-Félix Gravière. Comme souvent dans mes projets, un rôle important est dévolu à la musique, et Dayan Korolic interprète en direct la partition qu’il a composée. Pour une traversée tout en variations, ouvrant vers l’invisible de la condition humaine et la possibilité de transcender l’épreuve du réel. »
Propos recueillis par Agnès Santi
