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Focus -287-Les Gémeaux à Sceaux

Le Jeu des Ombres de Valère Novarina, musique Claudio Monteverdi, mise en scène de Jean Bellorini

Le Jeu des Ombres de Valère Novarina, musique Claudio Monteverdi, mise en scène de Jean Bellorini - Critique sortie Théâtre Sceaux Théâtre Les Gémeaux - Scène nationale de Sceaux
Jean Bellorini © Louise Allavoine / Hans Lucas Valère Novarina © Fabienne Douce / FOKAL

Théâtre / de Valère Novarina / musique Claudio Monteverdi / mise en scène Jean Bellorini

Publié le 22 septembre 2020 - N° 287

Plus de dix ans après L’Opérette imaginaire, Jean Bellorini met en scène un nouveau texte de Valère Novarina sur le mythe d’Orphée, accompagné de la musique de Monteverdi.

Comment avez-vous vécu le confinement et l’annonce de l’annulation du festival d’Avignon alors que Le Jeu des ombres devait être créé dans la cour d’honneur ?

Jean Bellorini : Extrêmement mal ! Contrairement à d’autres, j’ai eu du mal à profiter de cette période et à la rendre constructive. Mais peut-être que cette impossibilité à créer est une bonne nouvelle : cela nous rappelle qu’il faut la vie pour pouvoir parler de la vie. Même la littérature – malgré l’imaginaire, cette liberté que personne ne pourra jamais nous ôter – ne suffit pas sans la vie à côté. Le rapport au toucher, aux humains, aux vivants autour de soi est fondamental.

Valère Novarina : Pour Jean Bellorini qui a un immense paquebot à diriger, le TNP, c’est en effet terrible de ne pas savoir si les salles vont rouvrir, tandis que moi, j’étais réduit à ma plus simple expression : une feuille de papier, des crayons, la montagne et un bois où me promener. Le confinement a été totalement positif. Évidemment, la radio répétait jour et nuit comme un glas ce qui arrivait aux plus de 65 ans… mais pour la première fois cette image m’est venue qu’au fond la mort est le privilège des vivants.

« Au fond, la mort est le privilège des vivants »

Valère Novarina

 « Le mythe d’Orphée résonne dans une revendication que l’amour et la passion sont bien plus grands que la mort et la perte et l’oubli. »

Jean Bellorini

Quelle a été la genèse du projet ?

J.B. : Grâce à Leonardo Garcia Alarcon [chef d’orchestre avec qui il a travaillé sur l’Orfeo de Monteverdi], j’ai rencontré plus intimement la musique de Monteverdi et le thème d’Orphée. Quand le festival d’Avignon m’a proposé un spectacle pour la cour d’honneur, j’ai voulu un spectacle avec de la musique et un grand poète vivant sur un mythe universel. J’ai proposé à Valère Novarina de travailler une interprétation totalement libre du mythe d’Orphée et je savais de manière intuitive que j’allais ensuite tisser un spectacle en écho à l’opéra.

V.N. : La Cour d’honneur a donné son empreinte au texte. Ce mur humain est tout à fait extraordinaire, une force presque géologique formée de l’addition des spectateurs individuels, touchés individuellement et non maniés comme un troupeau d’un point A vers un point B. C’est le public qui délie la pièce, parfois telle réplique mystérieuse est débrouillée par un seul. Le langage, en grec, logos, vient de lier, mais le langage délie aussi. Si on arrive à se parler !

L’incommunicabilité, Orphée n’en est-il pas la métaphore ?

V.N. : Si bien sûr. Dans Orphée, il y a l’idée de l’invention. Continuons à inventer le Français. La littérature est effervescente, avec des moments de floraison, des endroits irrigués plus que d’autres.

J.B. : Je prends conscience dans le travail de répétitions à quel point l’écriture de Valère Novarina qui est musicale, rythmique, rend hommage au mythe. Tout ce qu’on ne comprend pas avec l’intellect, on le comprend avec l’âme, le cœur, le sensible :  c’est Orphée qui se met à chanter pour penser le monde et le soigner. L’essence même de l’écriture de Valère Novarina naît d’une incapacité à se faire comprendre. Et donc les êtres se mettent à inventer leur parole, leur langage, leur écriture, leurs mots. Au fond, c’est ce qu’il dit et que je trouve formidable : le drame de l’animal parlant. Ce que je pense, ce que j’ai en moi, ce que je veux dire, la manière dont je l’exprime et ce qui en restera : entre tout cela, réside une incompréhension qui crée un appel d’air et qu’il faut combler par de la parole pour tenter d’expliquer. Cette envie d’en découdre, cette logorrhée crée la parole.

Que représente Orphée pour vous ?

V.N. : Quand on parle de l’enfer, on voit tout de suite le feu, les flammes, etc. Mais dans le fond, l’enfer, inferna, ce sont les dessous. Et ce mur du théâtre sous le plateau s’appelle les dessous. Jean Bellorini voulait beaucoup travailler les dessous de la cour d’honneur et moi je voulais travailler les dessous des répliques, de notre langue, le latin nous agissant toujours.

J.B. : Plus que jamais, ce mythe résonne dans une revendication que l’amour et la passion sont bien plus grands que la mort et la perte et l’oubli. Tous ces fantômes, ces errances, ces damnés font le choix de se toucher, de s’aimer et de se retourner au prix de perdre l’autre. Cela résonne très fort avec ce qu’on a vécu, cet empêchement qui, à certains moments, a pu être scandaleux, indécent : ne pas pouvoir enterrer nos morts, ne pas pouvoir entrer dans une maison de retraite. Le choix d’Orphée, c’est de descendre aux Enfers pour aimer, toucher, vivre.

 

Entretien réalisé par Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Le Jeu des Ombres de Valère Novarina, musique Claudio Monteverdi, mise en scène de Jean Bellorini
du vendredi 6 novembre 2020 au dimanche 22 novembre 2020
Théâtre Les Gémeaux - Scène nationale de Sceaux
49 avenue Georges Clemenceau, 92330 Sceaux.

Du jeudi au samedi à 20h45, le dimanche à 17h.

A paraître à la rentrée: le texte Le Jeu des ombres chez POL et le compte rendu du colloque de Cerisy Les Quatre sens de l’écriture chez Hermann.

 

Tél. : 01 46 61 36 67.

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