Sara Strisdberg, cheffe d’orchestre de partitions incandescentes

De Bernard-Marie Koltès à Lars Noren, les auteurs contemporains ont toujours fait partie de l’identité artistique de Nanterre-Amandiers. Christophe Rauck leur accorde une importance doublement féconde en faisant place à leur présence au sein du théâtre mais aussi par ses créations en tant que metteur en scène. Il reprend ainsi deux mises en scène de textes de l’autrice suédoise Sara Stridsberg, créées la saison dernière. La Faculté des Rêves éclaire le parcours radical de Valerie Solanas, qui déclare que pour libérer la société de l’emprise phallocratique, il faut supprimer les mâles. Mais Solanas est aussi contradictoire, écorchée vive, violée par son père, bailleuse de son sexe et meurtrière ratée d’Andy Warhol, ce dernier geste scellant sa réputation et son destin. Cécile Garcia Fogel l’interprète avec une maîtrise sidérante de la voix, de la posture et du geste, allant jusqu’à sembler changer de corps à mesure que Valerie Solanas progresse en irréductibilité.

Des figures féminines flamboyantes

Dissection d’une chute de neige éclaire une autre figure féminine flamboyante, la scandaleuse Christine de Suède (1626-1689). La pièce interroge le pouvoir au féminin, mais aussi la tragique solitude d’une « Fille Roi » privée d’enfance, qui à la mort de son père hérite du trône du royaume de Suède. Amoureuse des arts et des lettres, passionnée de philosophie – elle fit venir Descartes en Suède, qui y mourut –, elle refuse les carcans normatifs, s’abandonne à elle-même dans une forme d’insensibilité aux lois du monde. Marie-Sophie Ferdane réussit brillamment à donner corps à la tragique complexité de cette héroïne, qui tels les grands monstres shakespeariens demeure en scène du début à la fin du spectacle. Dans une abstraction épurée, la mise en scène exprime une tension irréconciliable entre la sphère intime et la sphère publique, le désir et le devoir. Une partition de toute beauté.

Catherine Robert et Agnès Santi