La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -257-Théâtre de l’Agora

Pour un théâtre situé

Pour un théâtre situé - Critique sortie Théâtre
Christophe Blandin-Estournet ©Mathieu Miannay

Entretien
Christophe Blandin-Estournet

Publié le 20 août 2017 - N° 257

Christophe Blandin-Estournet dirige le Théâtre de l’Agora depuis quatre ans. Il y défend ensemble l’excellence de la programmation et l’efficacité des missions d’enracinement territorial.

« Il n’y a pas d’opposition entre enjeux de territoire et enjeux de création. »

Comment définir votre projet à Evry ?

Christophe Blandin-Estournet : Il n’y a pas d’opposition entre enjeux de territoire et enjeux de création. Nous essayons de mettre en place un projet situé, en s’affranchissant des vains débats entre populaire et savant, participatif et consommateur, payant et gratuit. Il s’agit de changer de paradigme, en passant du « ou » au « et ». Lisez ce que dit Bernard Lahire à propos de la culture des individus, qui n’est pas un déni, mais une prolongation du travail de Pierre Bourdieu, à l’œuvre partout ! Sur des territoires comme les nôtres, on peut être d’ici et d’ailleurs, de culture française et en même temps extra-métropolitain, traversé par des choses qui produisent désaccords et harmonie, tension et richesse. On présente à tort cet antagonisme comme irréductible, or c’est son ancrage dans les esprits qui empêche d’avancer et de penser. Un projet situé, concept travaillé au sein de l’Institut de Coopération pour la Culture, est un projet qui vient en dialogue avec son contexte, qui lui donne autant qu’il reçoit de lui.

Quelles conséquences ?

C. B.-E. : Une fois cela posé, la posture change. Un projet situé est un projet in situ, qui se déroule dans un contexte donné, où l’on accepte d’avancer sans tout savoir, non pas de façon irresponsable, mais en étant toujours disponible à la rencontre et à l’échange. Il s’agit de travailler la porosité autant que la perméabilité. Les conditions du déploiement sont fondamentales. Premièrement la durée, toujours choisie en fonction du projet ; ensuite la condition de la voie empruntée et du chemin choisi : le processus est aussi important que le résultat. Notre époque a abandonné le voyage au bénéfice du trajet. On cherche désormais à savoir comment se rendre le plus vite possible à un endroit. Telle est l’économie du trajet. Celle du voyage est tout autre : un voyage consiste à vivre des choses pendant le trajet, et fait nécessairement naître le dialogue. Abandonner le « ou » pour le « et » signifie aussi qu’on accepte de travailler sur la complexité. Cela joue sur la conception que nous nous faisons de nos métiers, particulièrement les relations publiques : plutôt dans une optique de coordination de projets que de remplissage des salles. Cela suppose également de revoir la question de l’évaluation, en mesurant par exemple, l’empreinte civique du projet, selon l’expression de Simon Brault.

Comment vous êtes-vous installé à Evry ?

C. B.-E. : Je n’y ai pas proposé un projet de scène nationale qui se déploierait localement, mais, à l’inverse, je suis parti de l’analyse d’un contexte dans lequel existe une scène nationale. Nous sommes sur un territoire singulier, sachant que tous le sont. Le nôtre est celui d’une ville nouvelle (Evry) et de grands ensembles (Grigny, Courcouronnes, Corbeil). Il n’y a pas un cœur historique ancien centralisant la vie sociale. Les constructions ont une quarantaine d’années ; la population est très jeune (la moyenne d’âge des habitants est de moins de trente ans). C’est aussi un territoire de grande pauvreté, où nombre de foyers vivent souvent avec moins de mille euros par mois. La diversité culturelle est très importante : on compte, parmi les habitants, une centaine de nationalités d’origine. Cette population est enfin extrêmement éloignée des formes institutionnelles, et particulièrement des formes institutionnelles de la culture. Il s’agit donc de penser notre projet au quotidien, dans le dialogue avec toutes ces données en alliant le sensé, le savoir et le sensible.

Quelle programmation proposez-vous ?

C. B.-E. : Pas une seule proposition artistique n’est accueillie ici sans que nous nous posions la question du sens qu’elle acquiert localement. Il est tout aussi important, pour renarcissiser ces territoires, d’y accueillir des formes à grande reconnaissance institutionnelle que d’y inviter des spectacles dont les modalités sont en dialogue direct avec le territoire. Nous adressons notre projet à des individus plutôt qu’à des composantes sociales, notamment en posant que la fréquentation du projet ne se limite pas à la fréquentation du lieu. D’où le travail de programmation de proximité.

Comment envisagez-vous votre mission ?

C. B.-E. : Je lutte contre l’idée selon laquelle notre mission serait d’amener la culture là où il n’y en a pas. Il est inepte de se croire les seuls détenteurs du sens. Proposer, à rebours, un projet comme le nôtre offre la possibilité d’une révélation, entendue au sens photographique et non pas mystique du terme ! Ce genre de projet fait apparaître des choses. Ce qui fait bourgeoisie aujourd’hui, ce sont les endroits de certitude du beau, du bien et du juste. Contre cela, il s’agit de laisser la place à l’autre, d’accepter de déconstruire nos belles idées, intelligentes et généreuses, mais qui souvent pêchent par naïveté et brutalité, au regard de la vie des gens. Au lieu de parler de ce que l’on fait, je préfère parler de la manière dont on le fait, comment on s’inscrit dans la durée.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

 

 

Théâtre de l’Agora – scène nationale d’Evry et de l’Essonne,

place de l’Agora, 91000 Evry.

Tél. : 01 60 91 65 65.

Site : www.theatreagora.com

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