La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -286-La Compagnie des Dramaticules

Pinocchio, rencontre avec Jérémie Le Louët

Pinocchio, rencontre avec Jérémie Le Louët - Critique sortie Théâtre CHATILLON Théâtre de Châtillon
© D. R.

D'après Les Aventures de Pinocchio de Carlo Collodi / adaptation et mes Jérémie Le Louët
Entretien

Publié le 7 août 2020 - N° 286

Comme Carlo Collodi transforme un bout de bois en enfant, Jérémie Le Louët métamorphose un conte moral en féérie multicolore, empruntant autant au mythe qu’au rêve, à leurs variantes et à leurs travestissements.

Pourquoi Pinocchio ?

Jérémie Le Louët : J’ai découvert adulte le roman de Collodi. Sa lecture n’a pas, pour moi, la teinte d’un vieux souvenir : je l’ai lu comme on lit un classique ou un conte. Comme dans tous les contes, on y trouve de la fausse naïveté, un brin de cynisme et de la violence dissimulée. Et comme souvent à propos des contes, on se méprend sur son héros. Pinocchio est un pantin de bois mais, paradoxalement, il est hypersensible (très sanguin, il vit tout de manière exacerbée) et libre (il fait toujours les mauvais choix, mais il a le choix !). C’est Disney qui en fait un personnage désincarné, dépourvu de libre arbitre. J’ai toujours été attiré par les personnages qui questionnent les règles. Ubu, Don Quichotte, Hamlet : tous refusent de se conformer à l’ordre décidé pour eux. Si l’on considère Pinocchio comme un conte moral, on y lit que le chemin vers la sagesse consiste à obéir, ne pas mentir, être soumis et discipliné. En dépit de cette morale imposée, j’ai plutôt l’impression que Collodi nous dit que quand on grandit, quelque chose meurt en nous. En devenant un petit garçon, le pantin meurt une première fois et perd sa capacité d’émerveillement, sa pureté, son énergie et sa beauté. Se dégage de cette fin une forme de tristesse ou d’amertume : un adulte est un enfant qu’on a domestiqué. Autre raison de mon choix : la manière dont Collodi exalte la théâtralité en vantant la supériorité de l’artifice sur le naturel, comme les Décadents et, en particulier, Huysmans, ont pu le faire. Le roman, qui n’est pas du tout homogène, appelle une foule de théâtres : du théâtre de tréteaux au théâtre de l’absurde, de la tragédie au drame romantique, le tout dans le style de la fable. Le roman constitue donc un matériau vaste et ludique, passionnant pour quelqu’un qui, comme moi, aime célébrer la théâtralité.

 « Je crois que le théâtre est essentiellement dialogue avec des fantômes. »

Comment menez-vous cette célébration ?

J.L.L. : Le travail sur Pinocchio m’est apparu moins complexe que sur Hamlet ou Quichotte, tant compte, pour moi, la manière dont l’œuvre est inscrite dans l’inconscient collectif. Pinocchio est une œuvre moins encombrée de références. Impossible de monter Hamlet sans se heurter à l’interprétation préférée de tel ou tel. Arriver après toutes ces incarnations, c’est nécessairement dialoguer avec des fantômes. Or, je crois que le théâtre est essentiellement dialogue avec des fantômes : que l’on discute ou que l’on dispute, il doit rester des traces de ces controverses. Pinocchio offre moins d’occasions d’intertextualité qu’Hamlet, qui est un musée à lui tout seul ! J’ai donc été moins tenté de convoquer d’autres auteurs, un peu comme si la contrainte du « il était une fois » suffisait pour répondre à la nécessité de travailler à l’euphonie la plus parfaite. Mais cette euphonie est en même temps polyphonique, folle comme l’est la fête chez Fellini : beaucoup d’énergie, qui frôle parfois l’hystérie, avec un regard de côté toujours mélancolique. Je crois qu’on ne peut pas jouer Pinocchio sans un regard empreint de cruauté. Pinocchio, c’est le masque : la théâtralité, mais c’est aussi la nostalgie du visage. « Adieu, jolis masques ! » comme le dit le héros à la fin du roman. Je vois Pinocchio comme un cauchemar festif, plein de couleurs mais avec le goût un peu amer que l’on éprouve quand on perd quelque chose, l’innocence, peut-être…

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Pinocchio, rencontre avec Jérémie Le Louët
du jeudi 8 octobre 2020 au mardi 13 octobre 2020
Théâtre de Châtillon
3, rue Sadi-Carnot, 92320 Châtillon

Jeudi à 20h30, vendredi à 14h30 et 20h30, samedi à 14h30 et 19h, lundi à 10h et 14h30, mardi à 14h30 et 20h30. Tél. : 01 55 48 06 90.  Centre d'Art et de culture de Meudon le 6 novembre 2020. Le Prisme, 2, allée du Théâtre, 78990 Élancourt. Janvier 2021. Tournée de novembre 2020 à mai 2021 (site : www.dramaticules.fr ).

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