La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -151-sartrouville

Laurent Fréchuret

Laurent Fréchuret - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 octobre 2007

Le Roi Lear : qu’est-ce qu’être humain dans ce monde ?

Une vingtaine d’artistes rassemblés trois mois durant dans le théâtre pour répéter Le Roi Lear, somptueux poème du grand William, donnant à voir et à entendre d’incroyables vertiges et d’effrayantes brutalités qui mettent l’homme à nu, en un éprouvant voyage initiatique. Avec Dominique Pinon dans le rôle-titre.

Après des auteurs contemporains, Beckett, Genet, Cioran, Burroughs…, pourquoi avoir choisi Shakespeare et Le Roi Lear ?

A Sartrouville l’immense scène, un vaste plateau de 28 mètres par 18 mètres, m’a poussé à m’aventurer dans l’une des choses les plus extraordinaires du monde, le poème dramatique total de William Shakespeare ! C’est un projet que je mûris depuis plusieurs années. Une heure et demie de métro chaque jour m’a permis de lire les 37 pièces. L’une de ces pièces m’a sauté aux yeux, ou aux oreilles ! Le Roi Lear est un sommet, une œuvre visionnaire qui mélange tous les grands thèmes chers à l’auteur : le pouvoir, l’amour, la folie, l’humour, car les choses les plus drôles ou burlesques se mêlent à la plus haute poésie tragique. Ce grand voyage dans le temps et l’espace met en scène un personnage qui se défait de tout, pose ses habits de roi, devient une espèce d’écorché qui demande : qu’est ce qu’un homme ? Il déconstruit un homme qui était roi pour interroger la condition humaine. Qu’est-ce qu’être humain et en quoi, dans ce monde qui est aussi le nôtre, on ne peut renoncer délibérément au nom d’humain ? Edward Bond pose la même question dans toute son œuvre. Même si Lear affronte la tempête et la folie, même s’il meurt à la fin, il aura affirmé à un moment, debout, nu dans la lande : je suis un homme, je veux être un homme et je ne veux pas être un mensonge, une étiquette ou un costume qui finalement m’étouffent.

« La colère de Lear est aussi un acte de révolte, un appel à plus de vérité. »

Ce voyage, ce formidable questionnement, montre des personnages en constantes métamorphoses, mentales et physiques…

Un plaisir pour les treize acteurs ! Chacun des quinze ou vingt personnages de la pièce passe par des renversements, des contrastes, des reliefs, des coups du sort, des cimes et des abîmes. J’ai essayé de monter une distribution sur des corps en jeu, une partition de voix très différentes. C’est une pièce très construite, une « pièce monstre », bien que moins logique que les pièces historiques. Shakespeare rend compte de la complexité du monde, loin de tout manichéisme. Le monstre et l’ange sont en nous. Cette fable intemporelle montre un « homme monde », en même temps un enfant et un vieillard, un fou et un roi. Dominique Pinon, comédien exceptionnel, a accepté le rôle, là où peut-être on ne l’attendait pas. Lear est un vrai champ de bataille à lui tout seul, où se battent des contraires. En un an il vit trente ans d’évolution de la vie d’un homme. Dorothée Zumstein a créé une nouvelle traduction, éminemment théâtrale.

L’erreur initiale de Lear, qui bannit sa fille préférée, déclenche le chaos. Faut-il expliquer cette erreur ?

On a l’impression qu’existe ce jour-là une configuration diabolique des astres qui fait que toute la chimie intime de chaque être est bouleversée au point qu’on veuille s’entredéchirer. En totale impudeur, Lear demande publiquement à ses trois filles d’exprimer leur amour afin de partager son royaume en parts égales. Cordélia refuse ce jeu hypocrite, et provoque la fureur de son père. Au fil de la pièce, Lear expérimente un désordre et un vertige extrêmes, mais gagne en lucidité malgré sa folie. La colère de Lear est aussi un acte de révolte, un appel à plus de vérité. Shakespeare rend hommage à l’artisanat du théâtre dans la pièce, à ces mondes qu’on fait surgir sur le terrain vague de la scène, des mondes bien réels, proposant un autre regard sur notre vie.

Propos recueillis par Agnès Santi


Le Roi Lear de William Shakespeare, mise en scène Laurent Fréchuret, du 9 novembre au 1er décembre.

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