La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -189-chaillot

Krzysztof Warlikowski

Krzysztof Warlikowski - Critique sortie Théâtre
© Magda Hueckel

Publié le 10 juin 2011

Révéler l’intime existentiel

Lear, Othello, Shylock… Suivant l’errance de ces personnages shakespeariens, le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski éclaire les questionnements existentiels à la lueur des écrits de John Maxwell Coetzee, prix Nobel de littérature sud-africain.

« Un travail d’associations à partir de situations, de sentiments, de pulsions. » Krzysztof Warlikowski
 
Quels liens tissez-vous entre l’œuvre de
J. M. Coetzee et Shakespeare ?
Krzysztof Warlikowski : Dans L’été de la vie, le romancier sud-africain ourdit une mystification littéraire : il s’imagine mort et s’invente un biographe, un jeune universitaire anglais qui fouillerait dans ses jeunes années alors qu’il vivotait dans une maison délabrée du Cap et cherchait sa voie d’écrivain. Les témoignages des quelques femmes qui ont alors croisé sa vie dessinent le portrait d’un trentenaire solitaire, dépressif, maladroit, dont l’existence émotionnelle, sociale et sexuelle est franchement minable. Cette vision tranche évidemment avec l’image du Nobel, intellectuel impeccable,et avec la force de son œuvre littéraire. Coetzee ose dévoiler ses humiliations sentimentales, ses échecs. Par cette confession fictive qui brise les contours apparents d’une identité très établie, il dit un questionnement essentiel de l’individu dans notre époque. Il essaie d’échapper à toute définition de lui comme personnage. Cette crise du sujet peut déjà s’entrevoir chez Shakespeare, à travers la déchéance et la folie destructrice que traversent Shylock, dans Le marchand de Venise, le roi Lear et Othello. Ces héros sont enfermés dans leur rôle public d’hommes forts, responsables, vainqueurs, qu’ils ne parviennent plus à porter et qui étouffe leur être intime. Cette contradiction trouve écho chez Coetzee.
 
Pourquoi avez-vous choisi ces trois personnages-là ?
K. W. : Ils renvoient à des groupes mis en marge de la société au cours de notre histoire : Othello est noir, Shylock est juif et Lear est vieux. Comment leur condition résonne-t-elle aujourd’hui après l’apartheid, après l’holocauste, comment pèse-t-elle sur leur comportement ? Durant plusieurs années, j’ai travaillé sur les pièces de Shakespeare qui m’étaient proches pour les faire sonner avec le temps présent. Ma démarche ne consiste pas ici à chercher une lecture de l’œuvre qui embrasse tout le drame comme lorsque je la mets en scène intégralement. J’extrais les personnages du contexte historique et narratif pour me concentrer sur leurs motivations existentielles les plus refoulées, sur ce qui les agit intimement et guide leurs actes. J’essaie de les comprendre profondément en tant qu’être humain, de cerner ce qui touche notre sensibilité maintenant, d’explorer les marges d’interprétation en partant de notre siècle.
 
Depuis quelques années, vous créez vos pièces en entremêlant plusieurs textes. Qu’est-ce qui vous a amené à privilégier cette approche ?

K. W. : Le voyage que je propose ne suit pas une narration construite logiquement mais passe plutôt par un travail d’associations à partir de situations, de sentiments, de pulsions. Il s’agit de cheminer par la subjectivité du personnage et de toucher l’inavouable.

Entretien réalisé par Gwénola David


Contes africains d’après Shakespeare, conception
et mise en scène de Krysztof Warlikowski.
Du 16 au 23 mars 2012.

A propos de l'événement



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