Jean-François Sivadier revient à Shakespeare avec Othello

« J’ai monté Le Roi Lear en 2007 ; je voulais revenir à Shakespeare, mais en essayant de l’aborder différemment. Précisément, ce qui est troublant dans ce texte, c’est la manière dont l’auteur semble vouloir débarrasser son théâtre de tout ce qui en fait habituellement l’architecture. Othello n’est pas une grande pièce historique ou politique. Shakespeare abandonne le symbole, la métaphore, la métaphysique, le mélange des genres, la multiplication des intrigues. Il met en scène une tragédie domestique, presque un fait divers, avec lequel il parvient tout de même à convoquer le monde, tout en plaçant, comme à chaque fois, la question du théâtre au centre du plateau.

La place de chacun est déterminée par les autres

Avec la figure de Iago qui est comme un acteur, un metteur en scène, un auteur (Shakespeare lui-même ?), qui écrit avec la complicité du public le scénario d’une mise à mort sans autre motif que sa soif de détruire Othello, tout en gardant le masque de l’homme le plus honnête. Iago assume son masque et son hypocrisie, et on s’aperçoit rapidement que les autres autour de lui jouent aussi un rôle, et que le plus hypocrite n’est pas celui qu’on pense. Iago est le révélateur d’un monde, d’un système politique, social, économique – la République de Venise – qui se veut tolérant et qui, sous le masque de la tolérance, s’arrange pour que chacun reste à sa place (ici, en l’occurrence, les femmes et les étrangers), et que la société continue à fonctionner en s’appuyant sur les rapports de pouvoir. Dans Othello la place de chacun est déterminée par le regard des autres. Je pense à cette phrase de Bond qui pourrait être le sujet central de la pièce : « l’affaire des êtres humains n’est pas tant de savoir qui ils sont, mais où ils sont ». 

Propos recueillis par Catherine Robert