La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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Guy Pierre Couleau

Guy Pierre Couleau - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 octobre 2009

Faire renaître l’utopie des départs

Guy Pierre Couleau continue sa route de créateur au sein d’une institution qu’il entend diriger en l’ouvrant à tous, créateurs et spectateurs avides de faire sens ensemble.

Pourquoi rebaptiser l’Atelier du Rhin Comédie de l’Est ?
Guy Pierre Couleau : L’Atelier du Rhin redevient la Comédie de l’Est, telle qu’Hubert Ginioux en avait lancé le projet. Il s’agit à la fois de réaffirmer l’appartenance forte à un projet théâtral et de respecter le projet de théâtre lyrique qui était celui de l’Atelier du Rhin en n’usurpant pas son nom. Le but est de faire renaître l’utopie de départ des centres dramatiques en région. Cette utopie s’appuie sur une triple exigence : service public, décentralisation et propagation du sens. L’idée est aussi de contribuer à un troisième temps de la décentralisation en réinstallant une troupe dans le théâtre et en région. Notre projet est construit sur la permanence artistique dans la ville. Dès l’an prochain, six artistes seront installés à Colmar. Ils feront avant tout leur métier mais participeront aussi à la médiation culturelle auprès du public.
 
Comment envisagez-vous les missions de la Comédie de l’Est ?
G. P. C. : La première mission est la création théâtrale. Il s’agit ensuite de faire vivre les œuvres en les faisant circuler sur un territoire d’implantation. C’est là une des idées pionnières de la décentralisation. C’est pourquoi nous avons le projet d’aller jouer hors les murs. Colmar est le troisième pôle d’activité en Alsace. Quatre-vingt-douze communes entourent la ville : elles sont toutes plus ou moins équipées de salles et donc accessibles. On va essayer de retrouver la vocation des centres dramatiques qui vise à amener le théâtre à ceux qui n’y viennent pas. De façon plus large encore, l’enjeu est transfrontalier. Notre but est d’inscrire cette maison dans une grande famille de centres européens et de tisser des liens avec d’autres théâtres. Il s’agit d’échanger et de dialoguer, de faire circuler des œuvres et des personnes. Nous allons ainsi devenir la plate-forme française de l’Académie Schloss Solitude de Stuttgart, lieu de laboratoire dont nous inviterons certains de ses membres à venir travailler chez nous.
 
« Faire renaître l’utopie de départ des centres dramatiques en région. »
 
Vous dites vouloir favoriser l’emploi artistique. Par quel moyen ?
G. P. C. : Nous aménagerons plusieurs temps de création avec différents metteurs en scène venant travailler avec les acteurs de l’ensemble. Nous voulons aussi concrétiser le soutien aux artistes implantés dans la région. Il va s’agir de travailler avec des gens que je ne connais pas et avec lesquels je prends le risque de créer un dialogue. S’engager auprès des artistes vivants ne doit pas seulement être une idée mais aussi une pratique.
 
L’engagement est justement un des thèmes centraux de votre prochaine saison. Pourquoi ?
G. P. C. : L’art est lié au monde : l’endroit du théâtre est un endroit poétique mais évident aussi politique. Pour moi, il est nécessaire de penser que le théâtre est en écho avec la pensée et nos interrogations et nous permet d’affronter nos cauchemars et peut-être de les vaincre. L’engagement, c’est aussi la fidélité : parmi les acteurs de ce groupe qui arrive à Colmar, certains travaillent avec moi depuis quatorze ans. J’ai choisi de construire le début de la saison autour du triptyque Germaine Tillion / Sartre / Camus parce que l’idée d’engagement conduit la globalité de mon projet. C’est aussi une sorte d’hommage aux origines et à André Clavé, résistant et déporté, ancien directeur de la Comédie de l’Est et compagnon de route de Germaine Tillion.
 
Pourquoi choisir ensuite de mettre en scène deux pièces de Synge ?
G. P. C. : Pour la même raison de fidélité et de retrouvailles. Synge est un auteur fondateur pour moi. Il m’a construit théâtralement et humainement. La Fontaine aux saints est une pièce qui a à voir avec l’essence du théâtre dans la mesure où elle ne parle que du visible et de l’invisible. C’est l’histoire d’un couple de mendiants aveugles qui recouvrent la vue grâce à une goutte d’eau miraculeuse. Ils découvrent alors le monde et eux-mêmes et se trouvent tellement laids et le monde tellement violent qu’ils préfèrent redevenir aveugles pour retomber dans leur bonheur premier. C’est une pièce à la fois très noire, très pessimiste, qui nous interroge sur les limites du visible. Qu’est-ce qu’on voit de l’autre, par exemple : son enveloppe ou son intériorité ?
 
Pourquoi faire suivre La Fontaine aux saints par Les Noces du rétameur ?
G. P. C. : Cette pièce raconte l’histoire de deux gitans qui obligent un prêtre vénal à les marier. C’est le versant presque satanique de la pièce précédente. Les deux pièces ont été écrites dans les mêmes années mais jamais représentées ensemble du vivant de leur auteur. L’intérêt est de donner à voir deux versants du rapport avec le religieux. Dans une pièce, un saint opère un miracle, dans l’autre, un prêtre démoniaque prononce des malédictions en latin. Tragique d’abord, insolence drolatique ensuite. J’aimerais qu’à une grande clarté succède une grande noirceur. Mais il demeure toujours compliqué de savoir à l’avance comment s’organiseront les choses sur scène : c’est dans le travail qu’elles apparaissent. Je suis mon propre laboratoire émotionnel au quotidien et ne peux pas m’approprier une pièce avant de me l’incorporer. Jouvet dit de l’acteur qu’il est à la fois l’instrument et l’interprète. Je crois qu’il en va de même pour le metteur en scène : ce que je fais sur la scène, c’est une partie de ce que je suis.
 
Propos recueillis par Catherine Robert


 

Les Justes, d’Albert Camus. Les 6, 7 et 9 octobre 2009 à 20h30 ; le 8 à 19h. Théâtre Municipal. Les Mains sales, de Jean-Paul Sartre. Les 12 et 19 novembre à 19h ; les 13, 17 à 20h30 ; le 14 à 18h. Grande Salle de la Comédie de l’Est. La Fontaine aux saints et Les Noces du rétameur, de John Millington Synge. Les 13, 14, 15, 19, 20, 21 et 22 janvier 2010 à 19h ; les 16 et 23 janvier à 18h. Grande Salle de la Comédie de l’Est.

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