La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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Eric Lacascade

Eric Lacascade - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 octobre 2009

Questionner le sens de l’avenir

Trois ans après Les Barbares, Eric Lacascade revient à Gorki et met en scène Les Estivants. L’été semblait devoir couler tranquillement, au creux tiède des habitudes de la campagne russe. Les petit-bourgeois avaient gagné leur datcha et retrouvaient le doux ennui de la villégiature. Jusqu’à l’arrivée de l’écrivain Chalimov…

« Gorki essaie de formuler les soubassements qui pourraient donner sens à l’existence et faire progresser la société d’un point de vue spirituel et humaniste. »
 
En quoi Chalimov perturbe-t-il les estivants ?
Eric Lacascade : Il agit comme révélateur plus que perturbateur. Réservé, il observe ce petit monde. Il ne fait pas exploser le groupe social mais en descelle les failles. En fait, la perturbation vient d’une confrontation avec la femme médecin Maria Lvovna, voisine de ses hôtes. Tous deux débattent de « comment vivre ». Leur conversation devient un pôle d’attraction et de répulsion pour les autres estivants, qui tantôt s’en mêlent, tantôt s’en s’échappent. Elle va modifier les comportements, provoquer des rencontres, des confessions, des conflits, des déceptions, de profondes remises en cause. Ces questions ravivent soudain de profonds problèmes qui rongent cette communauté. Certains, en particulier Barbara, la maîtresse de maison, vont se frayer un chemin d’émancipation, c’est-à-dire arrêter de se soumettre au consensus, se défaire des contraintes imposées par le milieu social et trouver leur parole, leur propre façon d’être, leur liberté.
 
Gorki montre aussi la tension entre l’affirmation de la singularité des individus et l’impossibilité d’une identité collective de classe.
E. L. : Cette classe de petit-bourgeois, fils d’ouvriers, se constitue dans une époque obscure, où, même si le groupe existe, l’individu, l’utilitarisme et le corporatisme prennent le pas sur le collectif et les forces combatives. A défaut d’idéal commun, les êtres se trouvent parcellisés et se replient sur eux-mêmes. Cette situation évoque à bien des égards notre condition actuelle, marquée par l’atomisation des luttes sociales et l’impossibilité d’une action collective.
 
 
On sent malgré tout chez Gorki une vitalité nouée de désarroi.
E. L . : Cette pièce est cruelle, drôle, pessimiste et pourtant… le désarroi ne conduit pas forcément à l’impuissance et au cynisme. On perçoit en effet les prémisses d’une possible liberté, d’une voie de résistance. Gorki ne donne pas de solutions, mais pose des questions justes, sème des graines d’avenir. Il travaille justement à questionner la place de l’humain dans ce macrocosme où triomphent le profit, l’égoïsme bas et les peurs. Il essaie de formuler les soubassements qui pourraient donner sens à l’existence et faire progresser la société d’un point de vue spirituel et humaniste.
 
Comment Gorki traduit-il cette violence dans l’écriture ?
E. L. : La parole est crue, directe, sans sous-texte. Le sens passe par les conversations plus que par la situation, qui n’évolue guerre. La pièce ne s’architecture pas autour d’un héros mais fourmille d’histoires qui s’entrecroisent, à la façon d’un feuilleton. Les personnages ressemblent plus à des gens en fait, et, comme souvent dans la vie, ils ne tiennent pas leurs promesses. J’aime cette écriture rude, cette narrativité éclatée, excentrée.
 
Vous retrouvez votre troupe d’acteurs. Quelles sont les lignes de travail ?
Nous essayons d’explorer le concret du plateau, l’échange entre humains, nous cherchons un langage commun tout en creusant le parcours de chacun. Le théâtre est l’une des rares scènes du réel dans un monde de plus en plus virtuel. Ça, c’est intéressant !
 
Entretien réalisé par Gwénola David


Les Estivants, de Maxime Gorki, adaptation et mise en scène d’Eric Lacascade, du 9 au 21 mars 2010.

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