Entretien / Shani Diluka
Road 66 Dans ce programme intitulé Road 66, [...]
Focus -216-Maison de la musique de Nanterre / Escale Made in America
Raphaëlle Delaunay s’empare des danses jazz avec distance et humour. Elle forme avec Asha Thomas, issue de la compagnie Alvin Ailey, un duo métisse délicieusement subversif.
Plusieurs de vos pièces interrogent la danse jazz : en quoi vous attire-t-elle ?
Raphaëlle Delaunay : C’est avant tout le contexte socio-politique de ces danses qui m’interpelle : celui de la communauté afro-américaine de Harlem, dans les années 1920 et 1930. Quand j’ai découvert la scène des « lindy hoppers » dans le film Hellzapoppin de H. C. Potter (1941), j’ai voulu comprendre, au-delà de la virtuosité incroyable, quel contexte pouvait expliquer une telle frénésie !
Le lindyhop, le charleston, le shimsham… Comment avez-vous appris ces danses ?
R. D. : J’ai utilisé des sources très diverses pour comprendre les revendications que portent ces danses. Mais je les ai incorporées sur le mode de l’emprunt – principalement en m’imprégnant de vidéos disponibles sur internet : je ne suis pas l' »héritière » du jazz, je ne pratique pas en puriste. Au contraire, je réinvente, je fais résonner ces danses avec notre époque, notamment en les mettant en relation avec de la musique électro-acoustique… C’est transgressif, mais le jazz lui-même est une expression subversive !
Pour une danseuse de formation classique, que représente l’incorporation de ces danses très différentes ?
R. D. : Elles me sont en fait apparues comme très proches de moi. Le « pull back », cette façon d’étirer le temps, de ne jamais être précisément sur le temps fort de la musique, comme une fausse nonchalance, est devenu la « patte » de mes spectacles. Tout comme l’esthétique que mettent en jeu ces danses sociales, une esthétique proche du burlesque, qui implique une forme d’animalité, d’exubérance. Très vite, cette façon de se mouvoir est devenue ma langue maternelle. Aujourd’hui, je ressens même le besoin de créer une distance, notamment en désynchronisant le rapport à la musique – pour déjouer cette évidence, ne pas glisser dans le mode « documentaire ».
Propos recueillis par Marie Chavanieux
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