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Focus -223-La Comédie de l’Est
Laurent Crovella met en scène Orchestre Titanic, de l’auteur bulgare Hristo Boytchev. Une fable grotesque et absurde qui stigmatise les fractures sociales de notre monde contemporain.
Quelle est cette communauté humaine que l’on découvre dans Orchestre Titanic ?
Laurent Crovella : Ce sont des personnages qui n’ont plus d’existence sociale. Ils sont tous « anciens de quelque chose » : ancien musicien, ancien cheminot, ancien gardien de zoo… Rongés par l’alcool et l’espoir vain d’une vie meilleure, ils se sont réfugiés dans une gare désaffectée, incapables de reprendre la main sur leurs destins individuels et collectifs. Ils forment une microsociété à la dérive, au bord du gouffre, qui regarde les trains passer à vive allure. Bercés par leurs illusions, ces êtres sont comme les musiciens de l’orchestre du Titanic qui ont continué à jouer alors que le bateau coulait… Dans un monde chaque jour plus rapide, posant de nouvelles exigences, un monde où seuls les plus performants peuvent croire à l’avenir, qu’advient-il de ceux qui ne suivent plus le rythme ? Que faisons-nous des plus fragiles ? Sont-ils condamnés à errer dans une marge de plus en plus importante ? Qu’arrive-t-il à ceux qui ne sont pas dans le train ? Ces questions résonnent aujourd’hui plus que jamais, et font de ce texte une pièce résolument politique, mettant en cause l’organisation de nos sociétés occidentales vieillissantes.
Que vous évoquent, de façon générale, le théâtre et l’écriture de Hristo Boytchev ?
L. C. : Si le théâtre est assurément le lieu du mensonge, du faux-semblant, il se doit de flirter avec une certaine forme de réalité. Boytchev, dans sa pièce, expose ce grand écart : d’une part une réalité sociale sordide, d’autre part l’illusion amenée par le personnage de Hari – manipulateur et illusionniste, éjecté d’un train en marche, qui a rejoint la piteuse troupe. L’illusion serait-elle la seule échappatoire à l’inacceptable ?
Quelle dimension souhaitez-vous donner à l’orientation comique de cette pièce ?
L. C. : Il est vrai que, jusqu’à présent, j’ai peu exploré ce registre. Si nos précédents spectacles se voulaient être un miroir tendu aux spectateurs, miroir à travers lequel ils pouvaient se reconnaître, ici il s’agira de tendre un miroir déformé et déformant, de grossir et noircir les traits des personnages, de travailler sur le grotesque, la démesure, de s’autoriser l’excès. Cela pour rire de leurs travers, puis être à deux doigts de pleurer de leur humaine condition : enlisée, abandonnée. Si cette pièce est une comédie, il se pourrait bien qu’elle soit une comédie fatale.
Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat
Comédie de l’Est – Centre Dramatique National d’Alsace, 6, route d’Ingersheim, 68000 Colmar. Tél. : 03 89 24 31 78. Site : www.comedie-est.com