La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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Entretien Joël Roman

Entretien Joël Roman - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 septembre 2008

L’éducation artistique : une dimension essentielle de l’éducation de la personne

Membre du comité de rédaction de la revue Esprit, auteur de La démocratie des individus et de Eux et nous, Joël Roman insiste sur la double finalité de l’éducation artistique, développant sensibilité et intelligence critique, récusant le diktat du marché et des corporatismes.

Comment définir l’éducation artistique ? Quelle est sa fonction à l’échelle de la société et à celle de l’individu ?
 
Il me semble que l’éducation artistique comporte deux aspects : elle est une éducation à la sensibilité, c’est-à-dire à la mise en forme des sentiments et à l’expression des personnes qui s’opère par la production d’objets artistiques. D’autre part, elle est une introduction à la diversité et à l’histoire des formes artistiques sédimentées dans les cultures. Elle a donc un côté pratique, même si celui-ci se distingue de l’apprentissage technique d’une discipline artistique (instrument de musique, dessin, danse, etc.), qu’elle peut toutefois croiser, et indissociablement un côté théorique, même si elle ne peut se ramener à de l’histoire de l’art au sens disciplinaire du terme. Elle est confrontation à des oeuvres et en même temps mobilisation des capacités expressives de la personne. Elle poursuit ainsi une double finalité : celle de l’accomplissement de la personne, et celle de lui permettre de décoder au mieux les formes culturelles qui l’entourent.
 
Quel est le rôle de l’école dans l’éducation artistique ?
 
La tradition intellectualiste de l’école française a longtemps tenu l’éducation artistique en marge. Celle-ci s’est retrouvée éclatée entre plusieurs pôles, les enseignements disciplinaires, saupoudrés de manière marginale à travers tout le cursus scolaire, les apprentissages techniques instrumentaux payants, l’animation socio-culturelle et l’éducation populaire, et enfin l’imprégnation familiale, au gré des habitudes diverses et inégales des familles. Seule l’école est sans doute à même de diffuser une éducation culturelle destinée à tous, tout en restant orientée vers la transmission des savoirs plutôt que vers le développement personnel. Il n’est donc pas surprenant qu’elle privilégie l’enseignement de l’histoire des arts, tout en étant traversée d’expérimentations et d’initiatives diverses, davantage soucieuses d’une véritable éducation artistique, mais marginales. L’expérience montre qu’outre les acquis pour l’éducation artistique proprement dite, ces initiatives sont le plus souvent bénéfiques pour les élèves et pour la vie scolaire dans son ensemble. La généralisation de ces expérimentations exigerait cependant une bouleversement profond de la physionomie de notre école, des formes et des rythmes de la vie scolaire, peu probables dans la conjoncture actuelle. Il faut les poursuivre opiniâtrement, en articulant ces actions avec le développement des activités prises en charge par les associations.
 
« Telle est peut-être l’utopie à défendre, à l’école comme en dehors de l’école : celle de la continuité entre les pratiques culturelles et les formes artistiques. »
 
 
On constate un écart entre l’éducation artistique et les pratiques culturelles courantes. Comment l’expliquer et y remédier ?
 
Il y a effectivement aujourd’hui un grand décalage entre les pratiques culturelles et les diverses formes d’éducation artistique. D’une part, parce que la pratique culturelle dominante est de loin la consommation de produits issus des industries culturelles, d’autre part en raison du faible impact de l’éducation artistique. Des recoupements sont pourtant observables : les activités amateurs sont bien vivantes, dans de nombreux domaines, l’usage d’internet tend à effacer la rigidité de la frontière entre consommation et production. Cette porosité est toutefois freinée par la condescendance des artistes professionnels envers les pratiques amateurs, clivage qui a pris le relais de celui, fondé sur les contenus, entre culture légitime et culture populaire. Une politique culturelle ambitieuse devrait prendre en compte ces évolutions pour bâtir un service public de la culture digne de ce nom. Telle est peut-être l’utopie à défendre, à l’école comme en dehors de l’école : celle de la continuité entre les pratiques culturelles et les formes artistiques, qui récuse le double diktat du marché et des corporatismes, pour permette à chacun d’être destinataire d’émotions esthétiques et vecteur d’expressions originales.

Propos recueillis par Agnès Santi


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