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Focus -224-Les Gémeaux, Scène nationale Sceaux
Le metteur en scène britannique, Declan Donnellan, l’un des plus grands directeurs d’acteurs de son temps et artiste compagnon des Gémeaux, reprend la fameuse comédie de Shakespeare Mesure pour Mesure. Une création éclairée par la troupe d’acteurs russes avec laquelle il a instruit des liens privilégiés.
Pourquoi vingt ans plus tard recréer Mesure pour Mesure ?
Declan Donnellan : A mes yeux, cette comédie citadine de l’époque inclut des scènes qui sont sans doute parmi les meilleures que Shakespeare ait jamais écrites. C’est un grand thriller. Ni pure comédie, ni pure tragédie. Outre ces dramatiques changements de tonalité, la pièce pose de profondes et troublantes questions sur notre façon de vivre. Etant influencé par tout ce qui transpire dans l’air autour de moi, je pars sans idée préconçue. Cette reprise créée à Moscou m’a été, en quelque sorte, inspirée par ces comédiens russes avec lesquels je travaille régulièrement. Son actualité m’a sauté aux yeux quand il a fallu, à partir d’eux, trouver la pièce sur laquelle nous allions collaborer.
En quoi Mesure pour Mesure est-elle d’actualité ?
D.-D : La justice, Dieu, le sexe, la mort, sont les thèmes universels qui sont brassés en un mélange étonnant jusqu’à la fin extraordinaire. Un gouvernement corrompu, une nonne plongée dans un dilemme effroyable, une ville étouffante et imprévisible, comprenant police, couvents, prisons et bordels… Au premier regard la pièce n’a rien à voir avec nous et plus on l’examine plus elle est incroyablement symbolique de nous tous ; elle met en scène des hommes et des femmes perdus qui ne se retrouvent que partiellement en descendant en eux-mêmes ; une descente aux enfers dont personne ne remonte indemne. En travaillant avec ces comédiens extraordinaires qui ont collaboré avec moi pour La Tempête, Boris Godounov, La Nuit des Rois, et d’autres pièces, j’ai découvert que l’un des principaux ressorts de la pièce est le sujet de la honte. Là est le miracle de la vie : après avoir choisi une pièce, elle se découvre sous un jour nouveau que les répétitions mettent en lumière. C’est ce que je recherche avant tout : rester libre et ouvert à ce qui se présente. Et la honte est ce qui s’est présenté.
Pourquoi la honte vous paraît-elle être au cœur du sujet ?
D.-D : La manière dont je lis la pièce aujourd’hui grâce au travail effectué avec les comédiens m’invite à penser qu’elle examine notre besoin de punir. Et tout à coup cela devient très actuel. Ne rendons-nous pas aujourd’hui les autres honteux parce que nous nous sentons honteux nous-mêmes ? A la mesure de la punition que nous infligeons, nous serons nous-mêmes punis. C’est très simple. La loi du talion en somme… Pourtant la pièce, en elle-même, est très compliquée. Confortablement exotique, de cet exotisme propre au comique baroque, flirtant avec le tragique – pour une fois, il n’y a pas d’assassinat -, elle se tient dans une ambiguïté de genre inhérente au thème qui, en profondeur, est le sien. Ne faut-il pas commencer à s’aimer un peu soi-même pour pouvoir aimer les autres ? Et comment s’aimer soi-même – ne pas avoir honte de soi – dans une société qui, sans cesse, culpabilise ? De quelle honte s’agit-il ? A-t-elle une raison d’être ? Voilà les questions que pose à chacun de nous Mesure pour Mesure.
Propos recueillis par Marie-Emmanuelle Galfré
Du vendredi 9 janvier au samedi 31 janvier 2015. Spectacle en russe surtitré.
Théâtre Les Gémeaux, Scène Nationale, 49, avenue Georges Clemenceau, 92 330 Sceaux. Spectacles du mardi au samedi à 20h45, le dimanche à 17h. Tél : 01 46 61 36 67. www.lesgemeaux.com
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