La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -213-Les Gémeaux ~ Scène Nationale

Entretien Christian Schiaretti

Entretien Christian Schiaretti - Critique sortie Théâtre Sceaux Les Gémeaux
Crédit photo : DR

Une saison au Congo / d’Aimé Césaire / mes Christian Schiaretti

Publié le 23 septembre 2013 - N° 213

Enflammement de la pensée

En cette année où la commémoration du centenaire d’Aimé Césaire se fait incompréhensiblement discrète, Christian Schiaretti met en scène la flamboyante Saison au Congo, que le Théâtre des Gémeaux est le seul à accueillir, après sa création au TNP à Villeurbanne.

« Une saison au Congo relève de l’exercice républicain d’instruction publique. »

Pourquoi choisir Une saison au Congo ?

Christian Schiaretti : Parce que c’est, avec La Tragédie du Roi Christophe, la pièce la plus aboutie de Césaire. Les autres œuvres sont relatives, moins longues, moins diverses, et affrontent moins la matière théâtrale. Surtout, aussi, parce que c’est une pièce politique : peu, dans le répertoire, prennent une assemblée de ministres pour objet ! Et puis, depuis le discours de Dakar prononcé par Nicolas Sarkozy en 2007, il n’y a pas eu de réponse digne de ce nom, articulant une même démonstration. Or Une saison au Congo donne un cours d’histoire, voire de géographie. Qui connaît Boula-Matari, le casseur de cailloux ? Qui sait que tel était le surnom de Stanley, qui a colonisé le Congo à la dynamite ? Une saison au Congo relève de l’exercice républicain d’instruction publique, c’est une réponse active à ce discours prétendant que les Africains ne sont pas entrés dans l’histoire : le véritable problème, c’est que nous-mêmes ne connaissons pas la leur. Cette pièce, par la modélisation des crises africaines que représente l’affaire Lumumba, est un référentiel indispensable pour comprendre la décolonisation.

Que raconte la pièce ?

C. S. : La chute de Lumumba et l’ascension de Mobutu. Césaire a un regard distancé sur Lumumba : il n’est pas lumumbiste, au sens où il soutiendrait une raison qui a eu tort. Lumumba est essentiellement une énergie courageuse qui fait des erreurs politiques et est écrasé par le sens tactique de Mobutu, soutenu par la malignité des Occidentaux et la triple coalition du pouvoir financier, du pouvoir colonial et de l’ONU. Lumumba, incapable tactiquement et poétiquement sublime, est dans l’élan : il a le dessein de martyr des causes perdues. On retrouve en lui la veine politique de Césaire, celle de la négritude et de l’arc tendu entre les Africains de l’esclavage et les Africains d’Afrique. Mais en dehors de l’enflammement politique, il y a aussi le classicisme d’une langue très écrite, très tenue, un vers à la fois libre et corseté. Rappelons sa fréquentation des surréalistes, et sa capacité à faire surgir des images flamboyantes percutant la réalité caribéenne – une sorte de réalisme fantastique, pourrait-on dire –, cette torche surréaliste s’alimentant au brasier d’une autre torche, plus claudélienne, celle de la profusion d’une proposition maritime, historique, d’un théâtre épique, dont Césaire reprend le flambeau.

Quels sont vos choix scéniques ?

C. S. : J’ai pris le parti que les rôles des Noirs soient tenus par des Noirs. Quand Césaire écrit pour Serreau, les rôles peuvent être tenus par des Blancs : l’universalité est encore possible. Aujourd’hui, je crois que l’Afrique a aussi la responsabilité de porter haut son Histoire : il fallait donc une distribution africaine. Pour cela, j’avais quatre options : des Africains belges d’origine congolaise, des Congolais venant de Paris, le collectif burkinabé Beneeré, rencontré à Ouagadougou, et une figuration composée avec des citoyens d’origine africaine de Villeurbanne et de Lyon, formant le chœur. Je voulais que ce chœur fasse décor, que les corps tiennent lieu d’éléments scéniques. Avec cette distribution pléthorique, cinq semaines de répétition au lieu des huit initialement prévues, un budget réduit à rien, puisque nous n’avons pas bénéficié des aides initialement prévues pour un centenaire dont tout le monde se fiche, nous avons tenu l’équilibre et créé un spectacle qui réalise ce qui ne s’est jusqu’alors jamais fait : mettre trente-deux Noirs, citoyens du monde, sur un plateau.

Dans quelle mesure ce spectacle constitue-t-il une étape dans votre travail ?

C. S. : Ce que je cherchais dans la décentralisation, pour des raisons sociales et politiques, loin de la servilité et des honneurs parisiens, je l’ai trouvé avec ce spectacle, dans la pureté originelle d’une collectivité travaillant au bénéfice de l’idée. Dans la rectitude, l’engagement et le contrat républicains, j’ai vécu un dépassement qui m’a rendu un sentiment de fraternité, dans une nécessité ressentie par le public, qu’elle a enflammé lui aussi. Dans ce beau texte et cette grande proposition, dans ce théâtre politique sans cintres ni dessous, où – et je l’assume contre notre époque –, on essaie de penser et non de distraire, il y a, au-dessus de tout, une chose à laquelle on croit.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Une saison au Congo
du vendredi 8 novembre 2013 au dimanche 24 novembre 2013
Les Gémeaux
49, avenue Georges Clemenceau 92330 Sceaux

Du mercredi au samedi à 20h45 ; le dimanche à 17h. Tél : 01 46 61 36 67. www.lesgemeaux.com
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