Entretien Artur Ribeiro
Frères de sang André Curti et Artur Ribeiro [...]
Brigitte Jaques-Wajeman crée Tendre et cruel, de l’auteur anglais Martin Crimp. Une transposition contemporaine des Trachiniennes à travers laquelle la metteure en scène poursuit son travail sur le monde d’aujourd’hui.
Quel nouveau point de vue la pièce de Martin Crimp porte-t-elle sur Les Trachiniennes ?
Brigitte Jaques-Wajeman : Martin Crimp reste fidèle à la trame et à la structure des Trachiniennes, tout en projetant l’action et les personnages de Sophocle dans l’époque d’aujourd’hui. Ainsi, Héraclès devient Le Général, Déjanire devient Amélia, le messager est remplacé par des journalistes, le philtre élaboré à partir du sang du centaure Nessos devient une molécule chimique… Cette transposition permet à Crimp de parler des guerres modernes, des dérives de la chasse au terrorisme, des politiques menées par les grandes puissances contemporaines.
Elle lui permet également de peindre un très beau portrait de femme…
B. J.-W. : Oui, le personnage d’Amélia est bouleversant. Il s’agit d’une femme pleine d’ambivalences, à la fois naïve et combative. Tendre et cruel est une pièce très féministe, une pièce qui ne cesse de faire s’entrecroiser intime et politique. Mais Crimp ne se contente pas de dénoncer les excès de notre monde, il élabore également une partition extrêmement poétique.
Vous déclarez que Tendre et cruel interroge l’opacité contemporaine. Qu’entendez-vous par là ?
B. J.-W. : Dans Tendre et cruel, on ne sait jamais qui est coupable et qui est innocent. Crimp met en lumière la dimension mensongère de notre époque, une époque qui nous abreuve de nouvelles, qui nous plonge dans un sentiment de perte par rapport à notre maîtrise du monde. Aujourd’hui, tout passe très vite, les choses nous échappent. Crimp se confronte à tout cela de façon très subtile. Il nous place face aux visages obscènes de la mort et du pouvoir.
Cette nouvelle création rejoint-elle le travail sur le contemporain que vous effectuez, depuis de nombreuses années, notamment à travers l’œuvre de Pierre Corneille ?
B. J.-W. : Absolument. En travaillant sur l’œuvre de Corneille, je cherche à interroger une forme ancienne à travers le monde d’aujourd’hui. Je me situe ici au même endroit : je souhaite questionner, à travers la partition poétique de Crimp, le monde et le corps contemporain.
Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans l’écriture de cet auteur ?
B. J.-W. : Justement, sa langue très poétique. Et puis la façon qu’il a de créer des ruptures, de faire surgir le vertige au sein même des dialogues. A chaque instant, on ressent l’intériorité troublée des personnages. Et puis, il possède un humour très particulier. Un humour qui mêle une sorte de distance énigmatique à une forme d’hypersensibilité.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
Frères de sang André Curti et Artur Ribeiro [...]