Comme il vous plaira

« Quand tout le monde court dans un sens, il faut courir dans l’autre. »

Quel bilan pour le Théâtre du Nord, trois ans après votre arrivée ?

Christophe Rauck : Le Théâtre du Nord, avec ses deux salles sur deux villes (Lille et Tourcoing), une école et un atelier de construction de décors, dont le savoir-faire a été maintenu malgré les difficultés et les restrictions financières, est un CDN unique. Son public se renouvelle, toujours plus jeune et plus ouvert à notre programmation. Nous avons amplifié les partenariats, notamment avec La Rose des Vents de Villeneuve-d’Ascq, et des coproductions en faveur de la jeune création. Nous travaillons en collaboration également avec Le Prato et son événement « Les Toiles dans la Ville », Le Fresnoy et la création opératique d’Alain Fleisher que nous accueillons à Tourcoing, lille3000 et ses grands événements.

Pourquoi avoir rebaptisé l’EpsAd « Ecole du Nord » ?

C. R. : Ce nom insiste sur le lien et la porosité entre l’école et le théâtre. Nous voulions que cette école puisse apporter des outils à des jeunes élèves-comédiens, avec une pédagogie basée sur les grands textes et les grands auteurs du répertoire classique et contemporain. Pour cela, ils travaillent directement avec des artistes qui ont le désir de transmettre. De plus, ils bénéficient désormais d’un dispositif d’insertion, destiné à faciliter leur embauche durant les trois années qui suivent la fin de leur formation, ce qui place l’Ecole du Nord à statut égal avec les autres écoles de la plateforme. J’ai voulu aussi que cette école ait une singularité, d’où la présence des élèves-auteurs. La richesse de cette expérience nous conduit d’ailleurs à doubler leur effectif dans la sixième promotion qui sera recrutée cette année.

Pourquoi ?

C. R. : Je voulais profiter de mon arrivée pour donner un nouveau visage à cette école. Tout le monde court après la figure du metteur en scène, avatar de l’entrepreneur que chérit l’époque. Or, quand tout le monde court dans un sens, il faut courir dans l’autre. L’ENSATT compte un excellent département de formation des auteurs, mais j’imaginais quelque chose de plus poreux avec les comédiens. Je me suis inspiré de l’expérience de l’Ecole Nationale de Théâtre du Canada, à Montréal, où les auteurs côtoient au quotidien les élèves-comédiens. A l’image des Anglo-Saxons, l’Ecole du Nord propose une formation concrète et commune de l’acteur et de l’auteur, pour que les élèves possèdent, à la sortie, une boîte à outils qui puisse leur servir dans leur parcours artistique. Le métier, c’est le geste ; la formation c’est apprendre à penser et à maîtriser ce geste. Cela s’appuie sur une ouverture au monde avec le projet des croquis de voyage et sur des échanges d’excellence avec, l’an dernier, le GITIS à Moscou pour toute la promotion, et, cette année, l’ENT de Montréal pour les élèves-auteurs.

Pourquoi choisir de mettre en scène Shakespeare cette saison ?

C. R. : Comme il vous plaira est la deuxième pièce que j’ai montée mais j’ai toujours eu envie de le faire à nouveau, dans le cadre d’une trilogie sur l’amour, après Les Serments indiscrets et Phèdre. C’est une pièce un peu monstrueuse, à la dramaturgie complexe. Elle comporte des moments d’anthologie, extraordinaires pour les acteurs. Elle interroge la passion à l’épreuve du temps et la possibilité de construire une société nouvelle par des jeunes gens émancipés grâce à l’amour.

Propos recueillis par Catherine Robert