IVRE DE SONS ET DE PEINTURE
L’ŒUVRE PAINTING SOUND, CREEE EN MAI PROCHAIN, REUNIRA LE COMPOSITEUR ONDREJ ADAMEK ET LA PEINTRE CHARLOTTE GUIBE. UNE RENCONTRE FASCINANTE.
« Je me sens très proche d’un artiste comme Edvard Munch qui utilise
l’espace comme un affect. » Charlotte Guibé
« Je travaille la couleur sonore comme une matière. » Ondrej Adámek
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Charlotte Guibé : En 2010, nous étions tous les deux en résidence à la Casa de Velázquez, à Madrid. Tout au long de l’année, j’ai observé Ondrˇej, et inversement. L’un était fasciné par l’image, l’autre par le son. Je connaissais mal la musique contemporaine, excepté un projet vidéo que j’avais mené quelques années auparavant avec un compositeur danois. J’avoue que j’écoutais surtout du jazz ou du classique. Juste avant de quitter la Casa, Ondrˇej est venu me voir pour enregistrer le son de mon atelier : le bruit des pinceaux, ma voix… Je lui ai ouvert les portes de ce lieu très intime. Il m’a ensuite dit qu’il souhaitait que l’on travaille sur un projet commun.
Ondrej Adámek : Plus jeune, j’ai hésité entre devenir peintre ou compositeur. Il m’arrive d’ailleurs encore de peindre, surtout dans un but de relaxation. Chez Charlotte, j’ai tout de suite été impressionné par son énergie, son optimisme. Son travail en atelier est spectaculaire, surtout quand elle verse des couleurs liquides très diluées sur les tableaux. Je me suis rendu compte qu’il fallait donner à voir et à entendre cela.
Quels rapprochements pourriez-vous établir entre la musique et la peinture?
O. A. : Dans l’œuvre de Charlotte, j’ai été interpellé par le fait que l’emploi de couleurs obscures lui permet d’utiliser des éléments figuratifs. Cela m’a rappelé ma propre approche de la couleur sonore, qui m’offre la possibilité de faire référence à d’autres musiques. Plus globalement, je travaille la couleur sonore comme une matière, qui peut être liquide, précise, grasse… Ce n’est pas pour rien que dans mes esquisses musicales, je dessine des gestes, des formes.
C. G. : à la Casa de Velázquez, je m’entendais très bien avec les compositeurs, car je voyais de nombreux points communs entre leur pratique et la mienne, à commencer par le fait d’être immergé de manière solitaire dans un travail quotidien. Ma démarche s’est toujours nourrie d’expériences collectives, dans lesquelles mon propre univers se confronte à d’autres disciplines.
En quoi consistera exactement Painting sound?
O. A. : Cette partition sera écrite pour un ensemble instrumental, électronique et vidéo, dont les projections seront déclenchées par la musique. On verra des images de Charlotte en train de peindre et on entendra les bruits de l’atelier, certains naturels et d’autres recréés artificiellement avec l’électronique. Avec les instruments, par exemple les percussions frottées, je vais aussi tenter de retrouver le bruit des pinceaux sur la toile. Tout cela sera très irréel. Reste encore une question en suspens : Charlotte sera-t-elle présente sur scène ? Peindra-t-elle ? Rien n’est pour l’instant défini. L’œuvre, en un mouvement constitué de parties très courtes, sera comme un voyage sur la toile, changeant au gré des couleurs.
C. G. : Il y a quelques mois, Ondrˇej a demandé à un vidéaste, Dieter Hoffmann, de me filmer dans mon atelier. J’ai joué le jeu, même si cela est difficile de montrer en quelques jours les différentes étapes de création. Ondřej était particulièrement intéressé par la première étape de mon travail, qui joue sur la lumière. Ce vidéaste a notamment filmé ma série « Les Dîners », dans laquelle je questionne le rapport entre les gens à travers les dîners : dîners d’affaires, dîners de couple, dîners de gens que je connais ou dîners d’inconnus. Je travaille le plus souvent d’après des photos ou des vidéos pour arriver à une sorte de journal photographique. Je me sens très proche d’un artiste comme Edvard Munch qui utilise l’espace comme un affect, comme une sensation.
Propos recueillis par Antoine Pecqueur