BESOIN DE SENTIR LA VIE… ET DE CRÉER !
Deux jours de concerts événements au Triton en décembre, une création mêlant slam et musiciens marocains à Royaumont, des improvisations sur orgue d’église. A ce carrefour des genres, le musicien n’a jamais semblé aussi heureux, libre et prolifique.
Faudrait-il inventer un mot ou une formule pour expliquer votre démarche singulière de compositeur ?
Andy Emler : Les gens qui organisent les concerts, ceux qui sont encore (même si c’est en train de bouger) dans les clivages jazz-musique contemporaine-musique classique, me demandent sans cesse : « Comment expliquer votre musique ? » J’ai donc trouvé une formule très pratique parce qu’elle est extrêmement longue : « la musique vivante actuelle du début de siècle » ! (rires) C’est totalement vague mais je “résume“ souvent en parlant d’énergie rock’n’roll, de pop, d’improvisation, de groove, d’alchimie propre aux groupes de jazz, d’écriture savante liée à l’éducation classique et de culture du XXe siècle.
Il se passe beaucoup de choses autour de votre musique en ce moment (dont une récente Victoire du Jazz) : avez-vous toujours cru qu’un jour on reconnaîtrait, comprendrait et encouragerait ce travail ?
A. E. : C’est un luxe de mettre en scène ses idées et un bonheur d’avoir dans le MegaOctet une telle brochette de virtuoses qui aiment mon travail et qui font le maximum pour jouer ma musique du mieux possible. C’est inévitable que les oreilles s’ouvrent, que l’évolution du monde artistique amène les gens vers un apprentissage de l’oreille et qu’inévitablement le public s’élargisse avec le temps. Aujourd’hui je me rends compte que les gens qui viennent du classique trouvent leur compte dans la musique du MegaOctet, comme ceux qui viennent du rock ou du jazz.
« Donnez-moi cent trombones et une guimbarde et je crois que je trouverai une solution ! »
Comment composez-vous ?
A. E. : La composition est une espèce de remise en question perpétuelle. Ecrire est devenu pour moi un besoin physique et même si je n’ai rien à écrire, je vais aller chercher quelque chose pour un futur projet. C’est un entretien musculaire et ça devient exponentiel. Mais je ne me reconnais pas dans l’image du compositeur plongé dans le silence de sa campagne isolée. Au contraire, j’ai besoin de sentir la vie, d’être au bistrot par exemple pour entendre ce qui se passe autour de moi. Et puis, je suis ouvert à toute proposition. J’aime répondre à des sollicitations, qu’on me propose des directions musicales que je m’approprie, j’aime le côté « exercice de style »… C’est comme pour le MegaOctet : je n’ai jamais décidé de monter un truc à huit ou neuf musiciens. Le groupe est né parce que je me suis présenté pour diriger l’ l’Orchestre National de Jazz et qu’on me l’a refusé ! J’étais parti pour écrire pour une formation élargie… et j’ai continué ! J’assume les idées qu’on me propose. Donnez-moi cent trombones et une guimbarde et je crois que je trouverai une solution ! (rires) J’adore ce genre de défi…
Ecrivez-vous de la même manière pour vos musiciens fétiches que pour un orchestre que vous ne connaissez pas personnellement ?
A. E. : 50% de mon écriture, ce sont des commandes. Et, justement, je ne veux pas écrire pour des anonymes. Que ce soit dans la pratique amateur, les projets avec des professionnels ou le mélange des deux, je rencontre systématiquement les gens avant. Je suis à la disposition des envies et des personnalités des musiciens pour qui j’écris, ce qui n’est pas le cas dans le classique ou le contemporain où les compositeurs écrivent souvent pour des orchestres X ou Y.
Et comment les choses vont-elles se passer pour la création « Du Slam à l’Atlas » avec le MegaOctet, Dgiz et cinq musiciens marocains ?
A. E. : Souvent, les rencontres entre les différentes cultures consistent seulement à montrer qu’on peut faire le bœuf ensemble. De mon côté, je voulais chercher une écriture qui parte de la musique traditionnelle berbère, marocaine, et de nos langages occidentaux et européens pour arriver à une véritable fusion. Les Marocains vont faire autre chose que ce qu’ils font d’habitude. Le public va découvrir un langage avec des sonorités qu’on n’entend pas dans ces musiques-là, ni dans le jazz… !
Propos recueillis par Jean-Luc Caradec et Mathieu Durand