La Terrasse

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Théâtre - Critique

Fernando Pessoa, mort d’un hétéronyme

Fernando Pessoa, mort d’un hétéronyme - Critique sortie Théâtre
Pessoa et ses doubles poétiques, le même et l’autre.

Publié le 10 octobre 2007

Création originale autour de l’œuvre de Pessoa et des figures étranges qu’inventa ce Protée de la littérature.

Quoi de commun entre un « poète païen », un « poète sensationniste-futuriste » et un « poète stoïcien-épicurien » ? L’ « écrivain hystéro-neurasthénique » qui les incarne tous, dans une sorte de schizophrénie paradoxalement consciente où le dédoublement fait naître des interlocuteurs seuls dignes de dialoguer avec le génie étonnant qui les a créés. Fernando Pessoa mena une vie littéraire aussi complexe que secrète : après sa mort, on retrouva 27543 manuscrits dans la chambre de ce modeste employé d’une maison de commerce et on s’aperçut qu’il s’était inventé soixante-douze hétéronymes, à la personnalité et à l’œuvre radicalement différentes. Même si le lent et minutieux travail de dissimulation et d’invention romanesque de Pessoa interdit qu’une lecture hâtive réduise l’originalité de ses frères en écriture à une expression artistique unique, Stanislas Grassian a pourtant voulu enquêter sur cette dispersion psychologique et créatrice, guidé par l’idée qu’en chaque hétéronyme de Pessoa se trouve « une part cachée, désavouée de lui-même ».
 
Une composition artistique riche et complexe
 
Faisant le pari de la vérité de la folie et parce que l’art permet toutes les audaces, comme l’avait si bien compris le terne Pessoa dont la vie ne fut flamboyante que par procuration et qui ne parvint jamais à aimer celle qui pourtant l’adorait mais qui trouvait toujours, entre elle et le poète, l’ombre exécrable et envahissante de ses alter ego inventés, Stanislas Grassian confie à quatre comédiens (Julien Alric, Didier Garreau, Stéphane Jaubertie et Alexis Perret) la tâche difficile de jouer le même et l’autre. Incarnant Pessoa et trois de ses hétéronymes, les comédiens, aux physiques et aux jeux extrêmement contrastés, réussissent le pari de créer, en touches impressionnistes, un personnage à part entière, dont la complexité apparaît d’autant mieux qu’elle est ainsi éclatée. Le très habile travail d’adaptation de Stanislas Grassian, qui a composé la pièce à partir des textes de Pessoa, permet d’entendre les mots du poète sans fioritures explicatives, laissant au seul jeu le soin d’indiquer les changements de ton, de voix et de personnalité. La vibrante Lise Hervio offre sa sensibilité à ce quatuor viril étonnant et la musique de Benjamin Segal et Vincent Lepoivre vient intensifier l’ensemble. Un fort joli spectacle, occasion de découvrir ce Lusitanien étrange en se laissant caresser par l’air des soirs du Tage.
 
Catherine Robert


Fernando Pessoa, mort d’un hétéronyme, dans le cadre d’un Automne à tisser adaptation scénique et mise en scène de Stanislas Grassian. Du 31 octobre au 8 novembre 2007. Du mardi au vendredi à 21h. Théâtre de L’Epée de Bois, Cartoucherie, 75012 Paris. Réservations au 01 43 74 20 21.

A propos de l'événement


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