La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2016 - Entretien / Ali Chahrour

Fatmeh et Leïla se meurt

Fatmeh et Leïla se meurt - Critique sortie Avignon / 2016 Avignon Cloître des Célestins
Crédit : Nadim Asfar Légende : Le chorégraphe Ali Chahrour.

Cloître des Célestins / Chor. Ali Chahrour

Publié le 26 juin 2016 - N° 245

Le chorégraphe libanais Ali Chahrour présente deux pièces intenses, Fatmeh et Leïla se meurt, deux premiers volets d’une trilogie inspirée de rites funéraires.

Vous écrivez que Fatmeh est inspiré par Fatima et Oum Kalthoum. Etablissez-vous une relation entre ces deux femmes ?

Ali Chahrour : Nous utilisons les figures de Fatima, la fille du Prophète, ou Oum Kalthoum, comme références, comme mémoire du monde arabe, et particulièrement de l’Islam. Fatima a une grande présence dans notre vie quotidienne. Oum Kalthoum est une artiste majeure, qui chantait l’amour, le sexe, la révolution, la perte, avec passion. Elle pouvait tout dire, tout faire, tout passait grâce à sa voix merveilleuse et au respect qu’elle engendrait. Donc le propos porte moins sur ces deux Fatmeh que sur deux icônes, l’une religieuse, l’autre artistique.

Pourquoi avez-vous choisi de chorégraphier pour deux danseuses non professionnelles ?

A.C. : Je voulais trouver une qualité de mouvement brut, une gestuelle en prise avec notre réalité, notre culture. Que toutes ces histoires, ces souvenirs soient inscrits dans les corps des danseuses. Ce qui est très important pour moi car je me situe entre ces références et la danse contemporaine. Ces femmes dansent sur scène parce que nous avons travaillé six mois. Elles ont dû vivre la situation, les mouvements, pour atteindre à une certaine technique et non se reposer sur elle. Soit l’inverse du danseur professionnel. C’est pourquoi elles donnent tout sur scène.

Cela n’a-t-il pas été difficile ?

A.C. : Si, bien sûr. Leila vient d’un milieu très religieux, elle n’était jamais allée au théâtre. C’est sa propre histoire qu’elle raconte. En tant que pleureuse, elle a l’habitude de chanter sans contrainte. Elle s’assoit et chante avec sa très belle et très forte voix. Peu lui importe de savoir si elle s’accorde à la musique ou pas. Nous avons dû adapter pour arriver au spectacle, avec deux musiciens, et la convaincre de danser.

Vous dites que le corps des danseuses de Fatmeh questionne le visible et l’invisible, le permis et l’interdit. Selon vous quels gestes, quels corps sont autorisés ou pas au Liban ?

A.C. : Dans toutes les cultures il y a des mouvements licites et illicites. Bien sûr, dans le monde musulman c’est sans doute plus intense en terme d’interdits. J’ai décidé de travailler sur les rituels funéraires, parce qu’ils cristallisent les questions religieuses, politiques, et sociales. Le corps se trouve dans une situation extrême. Pendant les funérailles, vous pouvez tout vous permettre, corporellement, émotionnellement. Les hommes peuvent sangloter, les femmes enlever ou déchirer leurs voiles, crier, tomber et s’autoriser des mouvements et des attitudes corporelles excessifs. Donc la mort est le seul moment où le corps peut s’exprimer.

« La mort est le seul moment où le corps peut s’exprimer. »

Vous vous inspirez beaucoup dans ces deux pièces de rituels chiites. Pourquoi ?

A.C. : Les rituels chiites comportent et valorisent ce rituel de la lamentation, plus que les autres courants de l’Islam. La célébration de l’Achoura, qui commémore la mort de Hossein, le fils de Fatima, dure dix jours pendant lesquels vous êtes obligés de pleurer, de manifester votre chagrin physiquement. Cela crée une sorte de chorégraphie, avec des frappes, des mouvements extrêmes. Tout tourne autour du corps, du rythme, de la force du collectif à travers le mouvement. Je viens d’une famille chiite, même si je ne pratique pas moi-même, donc je connais parfaitement ces rituels. Ils ont une grande force esthétique, corporelle, et même artistique, et je les respecte pour ça.

 

Propos recueillis par Agnès Izrine

A propos de l'événement

Fatmeh et Leïla se meurt
du samedi 16 juillet 2016 au samedi 23 juillet 2016
Cloître des Célestins
Place des Corps Saints, 84000 Avignon, France

Fatmeh du 16 au 18 juillet 2016 à 22h. Durée 55 minutes. Leïla se meurt du 21 au 23 juillet 2016 à 22h. Durée 1h20 Tél : 04 90 14 14 14

 

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