La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Evguénie Sokolov d’après Serge Gainsbourg, mis en scène par Charlotte Lévy-Markovitch

Evguénie Sokolov d’après Serge Gainsbourg, mis en scène par Charlotte Lévy-Markovitch - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Petit Saint-Martin
Jean-Quentin Châtelain, formidable interprète d’Evguénie Sokolov. Crédit : James Weston

d’après Serge Gainsbourg / mes Charlotte Lévy-Markovitch

Publié le 22 janvier 2020 - N° 284

Provocateur, burlesque, exubérant : le « conte parabolique » de Serge Gainsbourg est adapté au théâtre par la metteuse en scène Charlotte Lévy-Markovitch. Sous sa direction, le toujours singulier Jean-Quentin Châtelain porte avec le talent qu’on lui connaît le destin loufoque d’un peintre soumis aux déflagrations incessantes de ses gaz intestinaux.

Il fut le magistral interprète d’Ode maritime* de Fernando Pessoa, spectacle créé par Claude Régy en juillet 2009 qui reste en mémoire comme un inoubliable moment de grâce. Trois semaines après la disparition du grand metteur en scène, à l’âge de 96 ans, Jean-Quentin Châtelain présente sur la scène du Petit Saint-Martin un monologue adapté d’un court roman de Serge Gainsbourg (publié en 1980, aux Editions Gallimard). Des fulgurances existentielles et poétiques de l’écrivain portugais aux outrances intestinales du chanteur auteur-compositeur des années-lumière se dessinent… Un grand écart stylistique que le comédien suisse effectue avec un esprit de découverte qui en impose. On connaît les inflexions de voix si personnelles à travers lesquelles Jean-Quentin Châtelain donne vie aux mots dont il s’empare. On connaît la profondeur surprenante qu’il fait surgir sur scène, comme revenu d’un endroit clandestin que lui seul aurait pu arpenter. Dans Evguénie Sokolov, cette façon de dire et d’être, une fois de plus, saisit. Pourtant, on aurait pu rester en dehors de ce texte outrancier qui retrace le destin d’un peintre français d’origine slave devenu riche et célèbre grâce aux flatulences qui ponctuent, depuis sa naissance, son existence.

Un « pamphlet à propos de la peinture moderne »

Mais peu à peu, une façon de surréalisme surgit, laissant percer derrière les dérèglements aérophagiques de ce personnage la précision d’une écriture qui, pour s’ébrouer dans les obscénités, ne tombe jamais dans la complaisance. « Pamphlet à propos de la peinture moderne », comme l’a dit son auteur, Evguénie Sokolov est une véritable curiosité littéraire. Une curiosité littéraire que Charlotte Lévy-Markovitch transforme en curiosité théâtrale, signant une mise en scène au dépouillement radical. Sans l’appui d’aucun accessoire ou élément de décor, Jean-Quentin Châtelain s’avance vers nous, évoluant dans l’espace totalement nu du plateau. « De ma vie, sur ce lit d’hôpital que survolent les mouches à merde, la mienne, m’arrivent des images parfois précises souvent confuses, out of focus disent les photographes, certaines surexposées, d’autres au contraire obscures, qui mises bout à bout donneraient un film à la fois grotesque et atroce… », commence-t-il. Le personnage de Sokolov naît à nous. Au sein d’une atmosphère de clair-obscur dont les variations marquent les différentes parties du spectacle (les lumières sont d’Eric Soyer), un homme se confie à nous sans la moindre pudeur. Il nous entraîne dans les excès d’une charge immodérée et extravagante contre le monde de l’art contemporain.

Manuel Piolat Soleymat

* Critique dans La Terrasse n°176, mars 2010.

A propos de l'événement

Evguénie Sokolov d’après Serge Gainsbourg, mis en scène par Charlotte Lévy-Markovitch
du vendredi 17 janvier 2020 au samedi 29 février 2020
Théâtre du Petit Saint-Martin
17 rue René-Boulanger, 75010 Paris

Du mardi au samedi à 19h. Tél. : 01 42 08 00 32. Durée : 1h05.

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