Une Petite Douleur
Une Petite Douleur de Harold Pinter, mal [...]
Avec le charme du théâtre participatif, l’énergie de la rue et la virtuosité des circassiens, la compagnie Escale propose un spectacle singulier qui met en débat la rupture fondamentale de la fin du 20ème siècle : l’effondrement du bloc de l’Est.
Beaucoup se sont extasiés lors du dernier Festival d’Avignon devant le tour de passe-passe réalisé par Ostermeier, qui faisait s’opposer les acteurs et les spectateurs au beau milieu de son Ennemi du peuple, sans que l’on sache vraiment si ces spectateurs intervenaient spontanément, ou bien s’ils étaient des acolytes aux discours préparés de concert. Il faut dire que dans ce type de situation le charme opère. L’interaction scène-salle, le frisson devant l’audace de ceux qui prennent la parole, la difficulté à démêler le vrai du faux, l’envie de plonger à son tour dans le grand bain du débat assurent l’efficacité du dispositif. Ce dispositif, la compagnie Escale y recourt volontiers tout au long de cet Est ou Ouest/Procès d’intention qui tente de comparer les avantages respectifs de la vie de chaque côté du rideau de fer, à travers le procès fictif d’une femme, Martina K, acrobate et biophysicienne, qui décide de réintégrer la RDA après une brève escapade dans le décevant paradis doré de l’Ouest capitaliste.
L’endoctrinement invisible des plateaux télé
Le spectacle s’articule en deux parties. La première voit se dérouler le procès de cette fameuse Martina K, en Allemagne de l’Est, qui a pour enjeu d’autoriser ou non son retour dans la mère patrie. Vingt ans plus tard, le mur est tombé et l’action se transporte alors sur un plateau télé occidental, où un présentateur raille la nostalgie socialiste de cette femme, en manipulant l’assistance à grands coups de panneaux « rires » et « applaudissez ». Sur le fond, il n’y a peut-être pas grand-chose à attendre de la réflexion ébauchée, sinon qu’elle soulève un débat qu’on a souvent trop vite fait de plier, quant aux avantages respectifs des systèmes concernés. Sur la forme, le parallèle entre le théâtre d’agit prop, support de la propagande officielle en RDA, et l’endoctrinement invisible des plateaux télé de nos pays, à défaut d’être renversant, est au moins pertinent. Mais le plus séduisant dans l’affaire est sans doute cet enchâssement des fictions qui s’opère par l’entremise du Wahrschein Kabaret – le cabaret du vraisemblable – auteur “officiel“ du spectacle. A force d’écrans qui brouillent la réalité vraie du dispositif, on ne sait effectivement plus bien où l’on en est, et la perméabilité de chacun à la manipulation ébranle certitudes et opinions. Par ailleurs, la simplicité, l’originalité, les effets de proximité et la transdisciplinarité du spectacle mêlant batelage, théâtre, mât chinois et ruban, parachèvent le charme singulier de la proposition.
Eric Demey
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