C’est la faute à Le Corbusier
L’auteure Louise Doutreligne et le metteur en [...]
C’est vraiment un très beau texte que crée Julie Brochen. L’écrivain irlandais Sebastian Barry imagine dans Whistling Psyche la rencontre de deux figures de l’Angleterre victorienne, l’une Florence Nignhtingale, pionnière et infirmière reconnue, l’autre James Miranda Barry, chirurgien d’une rare compétence et totalement inconnu, à cause d’un lourd secret. Une langue bouleversante, affleurant du plus profond des êtres.
Comment avez-vous découvert cet auteur ?
Julie Brochen : Je l’ai découvert en jouant dans Le Régisseur de la chrétienté, sa première pièce traduite en français, mise en scène par Stuart Seide en 1997. J’ai été fascinée par son écriture, qui a quelque chose d’O’Neill ou Synge, d’ancré dans la terre d’Irlande. Très connu au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, il demeure quasiment ignoré en France. Sa mère était une immense actrice irlandaise. Il se sert du théâtre pour réhabiliter les laissés-pour-compte de l’histoire, qui souvent font partie de l’arbre généalogique de son impressionnante famille, et il réinvente leur vie. Il crée une fiction très documentée, fondée sur une forme de réalité. Pour lui, le théâtre est un endroit de réconfort dans l’espace public et l’espace de la pensée. C’est un terrain de consolation, libre et partagé. Toute l’équipe éprouve un lien très fort à cette œuvre.
Qui sont les deux protagonistes de l’histoire ?
J. B. : Florence Nightingale (1820-1910) fut une pionnière inouïe, reconnue de son vivant. Elle a lutté contre sa famille afin de pouvoir s’engager dans les soins infirmiers, où son action permit notamment de faire diminuer la mortalité chez les soldats blessés pendant la guerre de Crimée. James Miranda Barry, à la date de naissance incertaine, aux environs de 1795, mort en 1865, fut l’un des premiers chirurgiens à pratiquer un accouchement par césarienne ; engagé dans l’armée britannique, il obtint le plus haut grade d’inspecteur général des hôpitaux, soigna tout le monde sans distinction, pauvres, lépreux, colonisés… Il fut cependant privé de toute reconnaissance parce qu’à sa mort son secret fut divulgué : le docteur Barry était une femme. C’est le général Francisco de Miranda, figure de la libération en Amérique du Sud, qui eut l’idée de ce travestissement alors que la famille était plongée dans la misère. Désormais jeune homme, l’adolescent(e) fit de brillantes études de médecine. Elle demeura prisonnière de ce mensonge toute sa vie. La pièce invente la rencontre entre les deux femmes, dans une étrange salle d’attente d’une gare victorienne, un couloir d’hôpital, une sorte de purgatoire théâtral où parlent des spectres. “Psyche“, c’est le caniche que Barry siffle, il m’évoque celui de Schopenhauer, du nom d’Atma. Barry ressent une intranquillité, éprouve l’urgence de dire afin de se libérer, afin que son âme tourmentée trouve le repos. Elle n’a pas eu sa poignée de terre.
Les deux interprètes sont Catherine Hiégel et Juliette Plumecocq-Mech…
J. B. : J’ai pensé le texte avec elles ! Catherine, c’est le docteur Barry, avec ce tempérament de feu, cette drôlerie dans la tragédie, ce côté caustique évoquant Thomas Bernhard, qui ressasse, râle, fume. On se connaît depuis mon enfance. La voir répéter, c’est déjà un spectacle extraordinaire. J’étais ravie de proposer le rôle de Florence Nightingale à Juliette Plumecocq-Mech car elle n’a eu que très peu de rôles de jeune femme, et elle ressemble à Barry jeune ! Des jeux de miroir constants se mettent en place.
« Sebastian Barry se sert du théâtre pour réhabiliter les laissés-pour-compte de l’histoire. »
Quelle scénographie avez-vous imaginée ?
J. B. : Je pense la mise en scène en pensant l’espace d’abord. Je souhaite qu’il permette à chacun de traverser le texte de façon intime, personnelle, profonde. L’espace est modulable, séparé par quatre couches de tulle comme autant de strates de mémoire, animé par de la rétroprojection utilisant des images d’archive datant de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe. La scénographie est comme une chambre d’écoute, avec des ouvertures sur l’imaginaire, faisant naître des échos et des résonances, provoquant des apparitions et disparitions. Et au cœur de la pièce, se tiennent deux présences féminines sublimes, deux femmes d’action aussi capables que des surhommes ! La pièce est un éloge de la femme. Par l’évocation, elles font revivre la mémoire brisée, luttent contre l’oubli.
Propos recueillis par Agnès Santi
L’auteure Louise Doutreligne et le metteur en [...]