La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Danse - Critique

Enfant

Enfant - Critique sortie Danse
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage Légende photo : Enfant, pièce créée dans la Cour d’honneur du Palais des papes.

Publié le 10 septembre 2011 - N° 189

Le chorégraphe Boris Charmatz, artiste associé du Festival d’Avignon 2011, signe une puissante allégorie de l’humanité aux prises avec la mécanique du monde. Enfant tonne comme un appel à la résistance du sujet et à la liberté.

Des corps abandonnés gisent sur l’éclat noir du sol, enfouis dans la pénombre silencieuse. Trois corps, dispersés sur la grève d’une chimère, reliés par des filins au bras d’un treuil qui s’ébranle, se défait de ses attaches et lentement les traîne, les ramène, les soulève. Corps inertes, pris dans les tractions et tractations de la machine, objets suspendus, hissés, maniés, pliés, selon le vouloir de la mécanique tranquille, implacable. Voilà que ces corps tressautent, bringuebalent, mus par les secousses d’un tapis roulant, qui les happe et les rejette en un flux continu. Voilà qu’un enfant apparaît, frêle silhouette inanimée dans les bras d’un homme, puis d’autres, puis d’autres encore, portés, transportés, agglutinés en tas, manipulés tels des pantins ensommeillés soumis à l’arbitraire détermination des adultes. Quelques notes de Michael Jackson cognent en sourdine et se mêlent aux rumeurs du lointain. Les enfants s’éveillent, s’envolent en joyeuses nuées parmi les cris d’oiseaux, piaffent, tapent du pied à plaisir, tourbillonnent, suivent les pas d’un joueur de cornemuse. Ils courent en liberté et s’emportent dans leur jeu, jusqu’à prendre le pouvoir sur les corps adultes laissés sans force…
 
Puissante symbolique
 
Comme un conte où se précipitent peurs obscures, visions traumatiques, fantasmes inquiets et douceur étrange des rêves, Enfant sème le trouble et gratte au creux des béances de l’époque. La violence, l’objectivation de l’être dans la marchandise, l’aliénation de l’humanité à la performance, la jeunesse sacrifiée, visée de toutes les projections, économiques, politiques, affectives, sexuelles, mais aussi les joies innocentes, le bien-être de l’abandon physique ou de la danse, l’affirmation du sujet face à l’engrenage du monde… Tout ici est suggéré, dans la gestuelle, dans les états de corps, dans les rapports entre forces d’inertie et processus de transformation. Reprenant avec neuf danseurs et vingt-six amateurs âgés de 6 à 12 ans le dispositif scénique de régi, pièce créée en 2006, Boris Charmatz continue de distiller l’essence de la danse tout en tramant les motifs d’une puissante allégorie qui retourne le dénouement de la légende allemande du Joueur de flûte de Hamelin : les enfants, au lieu de suivre l’ensorceleur qui les mène à leur perte, s’en libèrent et le pendent. Le chorégraphe provoque aussi le regard porté sur l’enfance, irrémédiablement entaché aujourd’hui du soupçon de pédophilie. Il le questionne, le déplace… le délivre. Enfant frappe au singulier et lance un appel à la liberté, qui tonne comme une résistance salvatrice.
 
Gwénola David


Enfant, chorégraphie de Boris Charmatz. Du 12 au 16 octobre 2011, à 20h30, sauf dimanche à 15h. Dans le cadre du Festival d’Automne, au Théâtre de la Ville, place du Châtelet, 75004 Paris. Rens. : 01 42 74 22 77 et www.theatredelaville-paris.com. Durée : 1h15. Spectacle vu au Festival d’Avignon 2011.

A propos de l'événement


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