La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Du ciel tombaient les animaux de Caryl Churchill, traduction Elisabeth Angel-Perez, mise en scène de Marc Paquien

Du ciel tombaient les animaux de Caryl Churchill, traduction Elisabeth Angel-Perez, mise en scène de Marc Paquien - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Rond-Point
© Giovanni Cittadini Cesi Danièle Lebrun, Dominique Valadié, Charlotte Clamens, Geneviève Mnich : un très beau quatuor de comédiennes.

de Caryl Churchill / traduction Elisabeth Angel-Perez / mise en scène Marc Paquien

Publié le 19 décembre 2019 - N° 283

Accompagné par un quatuor de comédiennes de haute volée, Marc Paquien donne corps avec finesse et précision à la partition étonnante de la dramaturge britannique Caryl Churchill. Entre quotidien trivial et cauchemars hallucinatoires se noue un rapport au réel singulier et incisif.

It’s tea time. Quatre dames anglaises, assises dans un jardin, avec à leur pied l’inévitable mug. Les trois amies ont invité la voisine, qui passait par là. Toutes ont connu des histoires d’amour, des malheurs, toutes sortes de grands et petits événements. Elles ont un certain âge, cet âge où l’on comprend enfin ce que signifie le dicton qui affirme que la vie passe vite. Ancrée dans le lien des amitiés durables, dans l’évocation de l’ordinaire de l’existence, leur conversation vive et déconcertante progresse par répliques laissées en suspens, par bribes vite attrapées et complétées par l’une ou l’autre en une ramification étrange, elliptique et pourtant incisive. Si la narration laisse dans l’ombre de grandes parts d’inconnu, elle révèle parfois au détour d’une phrase ou lors de tirades un  fait majeur – le meurtre d’un mari violent par exemple, qui a valu à l’une d’entre elles quelques années de prison. Quant à la voisine qui a rejoint le trio, sa parole détonne. Prophétique, urgente, elle décrit un monde de folie, de barbarie et de mort, un monde absurde et hallucinant traversé d’humour acerbe, comme le fut en son temps la Modeste proposition (1729) de Jonathan Swift destinée à lutter contre la pauvreté. La partition remarquablement construite a séduit Marc Paquien, adepte des écritures contemporaines anglophones, dont on a admiré les mises en scène subtiles et percutantes de Samuel Beckett, de Martin Crimp ou Nick Payne, et qui connaît l’œuvre de Caryl Churchill de longue date.

Jeu parfaitement accordé

Figure majeure de la scène théâtrale anglaise, aujourd’hui âgée de 81 ans, la dramaturge engagée notamment pour la cause des femmes et contre les dérives de notre modernité consumériste, choisit le détournement, l’ironie, entrelaçant veine comique et dénonciation de la catastrophe dans une atmosphère faussement réaliste – malgré le pépiement des oiseaux. Avec un talent sûr, Marc Paquien se défait justement du souci de vraisemblance et de réalisme pour créer une mise en scène à l’écoute de la langue, pour travailler la question de l’adresse au public de manière fine et sensible. Cela, il l’accomplit grâce au jeu parfaitement accordé de ses quatre interprètes, qui permet à travers la forme imposée de l’écriture d’atteindre des moments d’émotion, de vérité. Ainsi, la voisine, Mrs Jarrett, s’avance-t-elle vers le public pour brosser ses tableaux catastrophistes. Avec une sorte de désinvolture, d’entêtement, de distance parfois quasi enfantine, Dominique Valadié parvient à prendre la parole de manière bluffante, dans une sorte d’équilibre instable très ajusté. Les trois amies, chacune dans leur singularité, impressionnent aussi par la qualité précise et profondément vivante de leur interprétation : Danièle Lebrun, Geneviève Mnich et Charlotte Clamens forment un trio alerte, audacieux, qui se faufile entre le quotidien trivial et les cauchemars les plus fous, alors que les temporalités et le rapport au réel se brouillent. Futur apocalyptique ou présent exacerbé ? Plaisir simple d’un jardin cosy ou souvenir troué que ravive le désir d’être ensemble ? Concrète et extravagante, la langue expérimentale de Caryl Churchill est ici magnifiée. Elle fait théâtre, au seuil de l’incertain futur…

Agnès Santi                 

A propos de l'événement

Du ciel tombaient les animaux de Caryl Churchill, traduction Elisabeth Angel-Perez, mise en scène de Marc Paquien
du mercredi 8 janvier 2020 au dimanche 2 février 2020
Théâtre du Rond-Point
2bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris

à 21h, dimanche à 15h30, relâche lundi et le 14 janvier. Tél : 01 44 95 98 21. Durée : 1h. Spectacle vu au Théâtre Montansier à Versailles en novembre 2019.

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