Le Ballet de Lorraine ouvre le festival de danse du Châtelet avec une soirée dédiée à Stravinsky. Deux lectures des Noces partagent notamment le même plateau : celle, historique, de Bronislava Nijinska, d’une infinie modernité, et la création du chorégraphe finlandais Tero Saarinen, précédée d’un Sacre célébrant l’année de la Finlande en France.
Cette soirée musicale et chorégraphique scelle la collaboration entre le CCN, incarné par le Ballet de Lorraine, et l’Opéra National de Lorraine autour d’une même œuvre, qui marqua tout autant l’histoire de la danse que celle de la musique : Les Noces d’Igor Stravinsky. On ne peut pas revenir sur le choc que provoqua la première version d’une longue liste qui jalonne encore la création chorégraphique d’aujourd’hui. Le travail de Bronislava Nijinska proposait en 1923 un traitement des corps révolutionnaire. Tero Saarienen, avec son Mariage, ne prétend pas révolutionner les corps, mais impose, avec la même musique, une atmosphère intense et une attention très précise aux enjeux d’une telle noce. Dans un arc de cercle noir, la fiancée s’avance. Dès le début de l’histoire qui se joue devant nous, la pression du groupe se fait sentir. Comme si elle n’avait pas le choix. Le chorégraphe a choisi un procédé devenu classique pour intégrer les chanteurs sur la scène, occupée par une scénographie en rondeurs, surélevant un autre plateau derrière l’espace de la danse : chaque protagoniste est figuré à la fois par un chanteur et un danseur, et c’est d’ailleurs une chanteuse qui porte la fameuse tresse de la mariée. Le cercle familial se referme sur la jeune fille. Ici, l’atmosphère ne peut donner lieu à une débauche de mouvements.
Que se joue-t-il dans l’interprétation du mariage à presque un siècle d’intervalle ?
On devine le même pathos dans le corps du jeune homme, qui semble être écrasé par la danse et par le corps de ballet : pas d’obsession du joli mouvement, qui ne prend d’ailleurs pas le soin de se terminer jusqu’aux orteils. Que ressent le fiancé sinon une angoisse qui le fait se débattre, rejeter l’espace comme s’il était habité ? A-t-il seulement lui aussi le choix, mû par la force des autres ? Malgré la modernité de la pièce, Tero Saarinen propose une vision du mariage qui rejoint celle de Bronislava Nijinska, écrite presque un siècle auparavant. Pas d’issue heureuse, mais une chappe de plomb qui rend la noce à la fois triste et terrifiante. Les préparatifs de la cérémonie montrent un homme et une femme bien seuls, perdus dans la masse des danseurs et des chanteurs, manipulés par les corps et par l’espace mouvant et oppressant. La deuxième partie de la pièce amorce une tentative de rencontre entre les jeunes gens, pour un seul et unique duo d’amour que le chorégraphe fait arriver très tard. Avant, le corps de ballet figure pour nous la tension des relations homme/femme, l’exultation ou le combat. Littéralement poussés l’un vers l’autre, les mariés auront beaucoup de mal à se toucher. Jouets ou marionnettes d’une société trop prégnante, c’est à peine s’ils arrivent à se rencontrer, à se croiser. Lorsque l’ultime moment arrive, les corps ne parviennent qu’à reculer, se traîner l’un vers l’autre, et s’écrouler.
Nathalie Yokel
Spectacle vu à sa création à l’Opéra National de Lorraine à Nancy.
Soirée Ballet de Lorraine / Tero Saarinen Company, les 4 et 5 avril à 20h au Théâtre du Châtelet, 1 place du Châtelet, 75001 Paris. Tel : 01 40 28 28 40.