Des Caravelles & des Batailles d’ Eléna Doratiotto et Benoît Piret

Dans le lieu où débarque Andréas au début de Des Caravelles & des Batailles, rien ne fonctionne comme ailleurs. Hors de l’agitation du monde, une petite communauté d’hommes et de femmes d’origines diverses s’y livre exclusivement à des occupations sans utilité. Certains jettent des pierres du haut d’un viaduc. On s’initie au tir à l’arc. On se raconte des histoires à partir de l’écoute de musique. On prend le temps de manger, de faire la sieste et de se promener… Imaginé par Eléna Doratiotto et Benoît Piret, qui signent l’écriture et la mise en scène de la pièce, l’endroit est d’abord un grand mystère pour le nouveau venu et pour le spectateur qui s’y identifie. Et peu à peu, ses contours se précisent jusqu’à apparaître comme un « espace de construction d’utopie ». Comme un îlot où chacun peut « se déprendre de son identité, de son rôle et de ses fonctions pour ouvrir des espaces neufs, propices à être envahis par des désirs inattendus ».

Plateau magique

Les sources d’inspiration d’Eléna Doratiotto et de Benoît Piret sont multiples. Il y a Des espaces autres (1967), où Michel Foucault développe le concept d’« hétérotopie ». Soit la localisation physique de l’utopie, dont l’une des fonctions est d’abriter l’imaginaire. Il y a aussi La Montagne magique de Thomas Mann, où les deux artistes puisent l’idée d’un mélange d’étrange et de banalité. Ce qui leur permet de suggérer divers décors – tels un hôtel sélect, un lieu de repos ou une résidence de vacances – sans avoir besoin de les représenter. Dans Des Caravelles & des Batailles, tout naît en effet du jeu des six comédiens. De leur capacité à porter ce que Robert Musil – autre auteur de chevet du duo – qualifie de « sens du possible ». Une idée selon laquelle à tout moment, le monde pourrait être transformé.

Anaïs Heluin